
Ce que dit le judaïsme c’est que toute existence se détermine de fait par rapport à un choix. L’homme choisit de fait de déterminer son existence soit par rapport à D.ieu soi par rapport à son environnement immédiat sous la main, les objets qui l’entourent. C’est ce rapport faussé à l’existence que le judaïsme nomme idolâtrie. Dans le second cas le monde qui m’entoure devient la mesure de mon existence, je deviens un objet de ce monde. Autrui devient un moyen et plus une fin. L’homme devient alors une fonction, dans un rapport de pouvoir par exemple où il est soit un esclave soit un maître omnipotent, un objet qui s’assimile au regard objectivant d’autrui.
Ainsi le regard que je porte sur ce monde, vivre devant D. ou devant les objets, des objets banals (les statues de bois de la Torah) ou raffinés: les habitudes sociales, la bien-pensance religieuse qui instrumentalise le spirituel à des fins de ce monde, les valeurs ou les rapports de pouvoir de mon époque… détermine le sens que je donne à ma propre existence. Je vais là où me mène mon pôle magnétique. Vers D. sous sa Torah pour vivre ou vers mes idoles illusoires qui conforte mon égo un moment mais qui finissent par s’évanouir en fumée, réduisant ma vocation d’homme au néant de l’oubli. Ce ‘est pas « mal », c’est juste un mode d’existence illusoire, « L’Eternel connait le chemin du tsadik » dit le psaume 1 et constate tristement : « Le chemin des méchants se perdra ». hevel havalim hakol hevel, cette « vanité » est comme un buée (c’est le sens du mot hével) du matin que le soleil efface. Buée des buées. Et c’est de l’idolâtrie du pouvoir que nous allons parler aujourd’hui.
Je parle de l’idolâtrie parce qu’il y a la même distance entre la conduite de Moïse et celle de Korah qu’entre le juste et l’idolâtre. Il s’agit de deux conceptions du pouvoir comme de la sainteté d’Israël qui s’opposent radicalement. L’une correspond à la conception toraïque du pouvoir selon D. et l’autre à la conception du pouvoir des Nations ou plutôt des empires, un règne de la force et de la brutalité basé sur une relation duelle en face à face, de domination ou de soumission, sur cette terre, sans un troisième terme : le Règne des cieux. Devait arriver ce qui arriva comme le montre cette parasha : la terre mange, avale, c’est-à-dire tue celui qui ne se fie qu’à elle et qui méprise la Royauté des cieux.
Comme vous le savez, Moïse et Korah sont des cousins. Ils sont tous les deux descendants de Lévi. Notre paracha commence d’ailleurs en établissant cette généalogie : « Coré (Korah), fils de Yiçhar, fils de Kehath, fils de Lévi » (Nb 16, 1) et cette question de la descendance de Lévi c’est à dire de la signification du Kadosh, est-ont saint factuellement par sa naissance ou par ses actions ? la scande.
Une erreur sur ce que signifie la sainteté… qui mène à l’idolâtrie
Voilà donc un monsieur, Korah qui entraîne tout un tas de gens très respectables contre Moïse et Aaron le Kohen Gadol, frère de Moïse et Myriam issus de la tribu de Lévi.
Ils s’avancèrent devant Moïse avec deux cent cinquante des enfants d’Israël, princes de la communauté, membres des réunions, personnages notables; et, s’étant attroupés autour de Moïse et d’Aaron, ils leur dirent: « C’en est trop de votre part! Toute la communauté, oui, tous sont des saints, et au milieu d’eux est le Seigneur; pourquoi donc vous érigez-vous en chefs de l’assemblée du Seigneur? » (Nb 16, 2-3)
Ce monsieur, au nom de sa conception du qadosh, de la sainteté dit : « ça suffit, on est tous des saints, alors on ne respecte pas votre pouvoir de guide (nassi– prince) de la communauté, vous êtes des usurpateurs et des tyrans autoproclamés ». Korah relit le : Véatem tihyou li mamlekhet kohanim vegoy kadosh : et vous serez pour Moi un royaume de prêtres et une nation sainte…», comme quelque chose de donné un état antérieur inscrit dans l’être même des fils d’Israël. Hors la sainteté n’est pas quelque chose de donné, de statique mais un but. D.ieu quand il me donne les commandements ne me délivre pas de ma responsabilité de les accomplir ! La Torah ne dit pas « Vous êtes saints » mais « vous serez saints ! », c’est un ordre, une exigence. Celui qui se situe du côté d’une sainteté déjà accomplie est donc le pire des idolâtres. Il y a entre Korah et Moïse l’abîme qui sépare la foi lishma de l’idolâtrie. Bien sûr le meurtrier reste membre du peuple juif mais il ne participe plus de la sainteté de D. Il ne signifie plus rien, il ne se particularise plus comme signifiant sensé d’un chemin d’humanité.
Moïse ne répond pas sur le même terrain, c’est Dieu dira ce qui est saint ou non…. demain :
« Demain, le Seigneur fera savoir qui est digne de lui, qui est le saint qu’il admet auprès de lui; celui qu’il aura élu, il le laissera approcher de lui. Faites ceci: munissez-vous d’encensoirs, toi Coré, et tout ton parti; mettez-y du feu et remplissez-les de parfum, devant le Seigneur, demain: or, l’homme que distinguera le Seigneur, c’est celui-là qui est saint. Assez donc, enfants de Lévi! » (Nb 16, 5-7)
Et c’est très malin parce que Moïse n’a pas une conception statique de la sainteté comme un état de fait lié au passé, une gloire acquise de prestigieux ancêtres par héritage du sang ou de la race mais il dit « Demain ». Il inscrit la sainteté dans un futur. On est saint d’accord mais on le saura vraiment demain et ensuite c’est D., Ribono Shel Olam, qui donnera son avis.
Le pauvre Korah n’a donc tout simplement rien compris au qadosh. qui n’a rien d’une qualité mais signifie « particulariser ». Le juif signifie dans le monde que sans la sanctification du Nom, l’homme court à ses idoles dont le pouvoir gratuit sur autrui réduit à un chose est la plus forte expression. Quand je me mets au service (avoda) de D. je deviens son serviteur, je e détermine par rapport à Lui et je me libère de l’emprise que je veux naturellement exercer sur les choses et les autres qui m’apparaissent spontanément comme des menaces. Rappelons ici que le tyran visé, Moïse, était bègue et « l’homme le plus humble de la terre eu porté » et qu’il a reçu et porté sa mission à contre-coeur et avec de grands moments de doute. Korah projette donc sur Moïse son propre appétit de domination. Car la sainteté ne signifie pas surplomber les autres mais signifier le rapport de générosité de D. avec sa créature. Si Moïse est humble (anaw, d’une racine qui signifie « courbé » et qui a donné humble de « humus »-« la terre », celui qui regarde la terre comme Adam est tiré de la terre adama) c’est parce qu’il a radicalement conscience du rapport de suzeraineté de D. sur sa créature. Il est du sol ouvert vers les Cieux. Un rapport d’amour.
Korah lui, rumine sa vassalité supposée. En réalité c’est quelqu’un qui ne s’aime pas, un mal-aimé mal aimant.C’est ce type qui lorsque tout le monde est d’accord dit « non je ne suis pas d’accord ! » pour que tous se retournent et qu’il attire l’attention sur lui. Enfin il existe, dans la négation des évidences et de la réalité. Et Moïse le traite comme un chef de bande mafieux : « En vérité, toi et toute ta bande, c’est contre l’Éternel que vous vous êtes ligués; car Aaron, qu’est-il, pour que vous murmuriez contre lui ? » (Nb 12, 11) Korak qui se méprise veut enfin être « quelqu’un » (« Aaron, qu’est-il? » lui demande Moïse pour qu’il ouvre les yeux) et ne supporte aucune autorité. Il accorde surtout à ces autorité un pouvoir sacré , bref il idolâtre le pouvoir comme un moyen magique d’exister… sans D. bien sûr.
Servir ou se servir
L’enjeu est un enjeu de pouvoir donc. De quelle conception du pouvoir parle-t-on ? A Korah qui dit : « pourquoi donc vous érigez-vous en chefs de l’assemblée du Seigneur? »… « Est-ce peu que tu nous aies fait sortir d’un pays ruisselant de lait et de miel, pour nous faire mourir dans ce désert, sans prétendre encore t’ériger en maître sur nous! » Moïse répond: « écoutez, enfants de Lévi. C’est donc peu, pour vous, que le Dieu d’Israël vous ait distingués de la communauté d’Israël, en vous admettant auprès de lui pour faire le service du tabernacle divin, et en vous plaçant en présence de la communauté pour la servir? » (Nb 16, 8-10).
Face à ces gens qui se sentent dévalorisés Moïse leur rappelle la noblesse de leur généalogie : « écoutez, enfants de Lévi »… mais il leur rappelle que celle-ci n’est pas une rente mais une vocation: « le Dieu d’Israël vous ait distingués de la communauté d’Israël ». Bref la sainteté n’est pas un état mais une particularisation…. Avant de leur rappeler que cet état est un état de « service », le service du Miskane signifie le service de la communauté. Que veut dire commander, avoir le sacerdoce ? Mais tout simplement servir !!! Mais ils ne comprennent pas.
Moïse est triste et il dit au Seigneur: « Je n’ai jamais pris à un seul d’entre eux son âne, je n’ai jamais fait de mal à un seul d’entre eux. ». Bref il les a servis au lieu de se servir.
Cette conception juive du pouvoir a profondément influencé la conception de l’Etat moderne. Non plus la monarchie de droit divin adoubée par le sang mais le service du peuple ! En latin « ministre », ça ne veut pas dire qu’on a tous les droits pour istribuer des postes à ses 250 copains coquins comme Korah et qu’on se situe au-dessus des lois comme un dieu. « Ministre » ça signifie « serviteur », un ministre est un « serviteur » du peuple. Mais ce que veulent Korah et sa clique, ce n’est pas servir mais se servir. Moïse, lui, ne se rapporte pas de manière statique à un pouvoir qu’il se serait donné à lui-même mais de manière dynamique à une mission données par l’Eternel : « C’est l’Éternel qui m’a donné mission d’accomplir toutes ces choses, que je n’ai rien fait de mon chef » (16, 28).
Pour Korah et sa junte la sanction est brutale :
« Le sol qui les portait se fendit, la terre ouvrit son sein et les dévora, eux et leurs maisons, et tous les gens de Coré, et tous leurs biens. Ils descendirent, eux et tous les leurs, vivants dans la tombe; la terre se referma sur eux, et ils disparurent du milieu de l’assemblée. Et tous les Israélites qui étaient autour d’eux s’enfuirent à leurs cris, disant: « La terre pourrait bien nous engloutir! » » (Nb 18, 31-34)
On entend en écho, le « cette terre mange ses habitants » des explorateurs dont le Talmud nous dit que cette avalement signifie le deuil et la mort. Il faut voir dans cette dévoration de la terre une parabole du pouvoir. Celui qui utilise le pouvoir de manière idolâtrique entraîne la création avec lui qui finit par le tuer. L’Ethique entraîne l’écologie. Le pouvoir mortifère trouve devant lui la puissance de la création. Comme napoléon ou Hitler, que son nom soit effacé, ont trouvé devant eux l’hiver russe et la boue qui avalait les roues de leur chars. La terre les a avalés.
Mais ailleurs la Torah nous dit : « Quant aux fils de Korah, ils ne périrent point. » (Nb 26, 11)… en clair la sainteté de type Korah qui est arrivé et qui n’a rien à atteindre, le pouvoir autocratique qui se sert au lieu de servir restent une possibilité qui n’a rien de virtuel en Israël. Les fils de Korah sont, hélas, encore parmi nous…
La Royauté biblique, une monarchie qui n’a rien de « droit divin »
La Haftarah conforte cette lecture. Dans le premier Livre de Samuel au chapitre 11 Samuel proteste comme Moïse contre l’accusation de se servir au lieu de servir : « S’il est quelqu’un dont j’aie pris le bœuf ou l’âne, quelqu’un que j’aie lésé ou pressuré, quelqu’un qui m’ait déterminé, par un présent, à fermer les yeux sur sa faute… Je suis prêt à vous le rendre » (v 3)
N’est roi comme Moïse que celui qui se comporte comme tel et non pas celui qui en a reçu une charge héréditaire :
« Eh bien, voici ce roi que vous avez voulu, que vous avez sollicité; le voici, Dieu vous l’a donné, à condition que vous révériez l’Eternel; que vous lui rendiez hommage et obéissance, que vous ne soyez point rebelles à sa parole, et que vous demeuriez, vous comme le roi qui vous gouverne, fidèles à l’Eternel, votre Dieu. » (1 Sam 12, 13-14).
La sainteté comme la royauté est donc une sainteté sous condition, sous embargo. Nul n’est saint, digne de D. Comme dit Samuel au peuple:
« Soyez sans crainte. Oui, vous êtes bien coupables; du moins ne cessez jamais de suivre l’Eternel, servez l’Eternel de tout votre cœur. Vous ne le quitteriez que pour des idoles de néant, impuissantes à secourir et à sauver, puisqu’elles sont néant. Mais l’Eternel ne délaisse point son peuple, pour l’honneur de son saint nom, parce qu’il lui a plu de vous adopter pour son peuple. » (1 Sam 12, 1-22)
S’éloigner du pouvoir
Les hakamim ont une attitude complexe par rapport au pouvoir politique. Celui-ci est absolument nécessaire :
« Rabbi ‘Hanina, l’assistant du grand-prêtre dit : « Prie pour la paix du gouvernement, car si on ne le craignait pas, les hommes s’entre-dévoreraient vivants. » (Pirkei Avot 3, 2)
Il faut bien comprendre que cette phrase est dite par Rabbi Hanina Segan haKohanim qui était un Tanna, un maître de la Mishna de la seconde génération (entre 40 et 80 de notre ère) actif en eretz Israël ; Au moment où Rome persécute les juifs la guerre judéo romaine dure de 65 à 70 et non pas dans un pays démocratique. On comprend donc à quel point le pouvoir de l’Etat, même injuste, qui est le seul à pouvoir légalement exercer la violence est la condition sine qua non d’une société qui ne soit pas tout simplement cannibale.
Mais en même temps les Hakhamim se défient des tendances idolâtriques du pouvoir. De ce pouvoir sans visage qui manipule les existence et réifie les hommes comme des moyens à sa merci puis et les jette comme des kleenex, une fois utilisés:
« Méfiez-vous du pouvoir en place, car il n’est favorable à l’individu que lorsque cela lui profite. Il paraît conciliant lorsqu’il en tire avantage et n’assiste pas les gens lorsqu’ils sont dans le besoin. » (Pirkei Avot 2, 3).
Le juif doit donc s’éloigner du pouvoir :
Chemayah et Avtalione reçurent [la Loi orale] des précédents [Yehoudah ben Tabaï et Chimone ben Chata’h]. Chemayah dit : « Aime le travail ; abhorre la hauteur et ne t’approche pas du pouvoir en place. » (Pirkei Avot 1, 10).
Les hakamim mettent en garde contre l’abus de pouvoir :
« La (connaissance de la) Tora est supérieure à la prêtrise et à la royauté, car la royauté demande trente qualités, le sacerdoce n’en exige que vingt-quatre, tandis que pour acquérir la (connaissance de la) Tora, il en faut quarante-huit, » comme : « ne pas abuser du pouvoir de décision » (Pirkei Avot 6, 6)
Où l’on reparle des tsitsit (franges)
Pour le Midrash, ce qui déclencha la dispute entre Korah et Moïse fut une discussion à propos du Talith:
» Et Korah fils de Yiçhar, fils de Kehath, fils de Lévi, forma un parti… « (Nb 16, 1 ) . Qu’est-ce est écrit avant ce sujet ? » Et ils feront pour eux-mêmes franges « [ Nb 15, 38 ] . Koré se leva et dit à Moïse : « Est-ce qu’un vêtement qui est entièrement bleue est exonéré de tzitzit ? Moïse lui répondit : « Il est nécessaire d’avoir tzitzit » . Korah lui répondit : un vêtement qui est entièrement bleu ne se dispense pas , encore quatre discussions pour l’exempter ? »
Korah dit : « Une maison pleine de livres [ c.-à- rouleaux de la Torah ] est-elle exonérés de mezouza ? » Moïse lui répondit : « Il est nécessaire d’avoir une mezouza « . Il lui dit : toute la Torah , avec ses 275 sections , n’exempte pas une maison , mais la seule partie trouvée dans la mezouza exonère la maison ? » ! Il lui dit : On ne vous a pas ordonné ces choses nmais vous les avez faites à partir de votre coeur .(Nombres Rabba 18,3)
Le Zohar dit que le monde est un grand Talit et que chacun est un Tsitsit, un fil qui a sa fonction indispensable mais qui reste remplaçable. Que peut signifier cette réflexion du modrash et du Zoahar sur la métonymie, cette figure de réthorique par laquelle la partie représente le tout ?
Tout a un sens dans la Torah. Quand Freud a considéré que dans le travail de rêves, les associations d’idées ou de mots par le jeu des associations libres, la juxtaposition des séquences de rêves apparemment sans liens, ou de situations de la journée ou de souvenir d’enfance transformés par l’imaginaire pour être supportable au mentor qu’est le surmoi avaient une certaine « réalité » , il n’a rien inventé. Le midrash fonctionne comme un rêve éveillé qui se forme par associations, par mise en contact ou par ressemblance. Il est vrai non pas en terme de logique pure mais de celle du réel que décrit le rêve. Comme la contiguïté des séquences de rêve a un sens la contiguïté des péricopes de la Torah en a un. Bref. La succession des péricopes de la Torah a en elle même un sens et les hakhamim en discutent l’infini depuis deux millénaires.
Car la Torah et son interprétation font de même que l’inconscient pendant le travail de rêve. La suite des Paracha, la juxtaposition d’histoires et de péricopes apparemment sans aucun lien de causalité ou de logique, les homophonies correspondent à ces processus de condensation et de déplacement du rêve humain que la psychologie moderne a assimilé aux figures de langage de la métaphore et de la métonymie. Ces glissements, ont en eux-même un sens.
Pourquoi le Midrash parle-t-il de franges et du fil bleu ? de la partie pour le tout (métonymie : « une voile à l’horizon » signifie « un bateau ») ? Pour deux raisons. D’abord profondément parce que ce que Korah ruine c’est la possibilité même de signification du langage, son pouvoir d’abstraction qui rend possible de penser au spirituel à partir du matériel le plus opaque, de saisir une autre profondeur du monde des choses, de se mettre en contact avec le divin à travers l’acte le plus concret (la mitsvah, la tsedaka, les massim tovim – les actes généreux). L’impie c’est celui qui refuse ce processus de signification. Le kiddoush qui prend la coupe pour signifier toute la récolte et le travail de l’homme et le mettre en contact avec le divin est métonymique. L’offrande des prémices de la moisson de même.
Bien sur que tout la vin du ma vigne est bon mais je ne peux en prendre conscience que si j’en particularise une coupe. L’erreur de Korah est celle de ces juifs qui réduisent le judaïsme à des grandes idées, dont ils finissent par bien se passer puisque comme ils ne pratiquent pas, elles n’entrent jamais dans leur vie par des gestes et de paroles pour la changer. C’est une forme de judaïsme sans mitsvot qui s’étonne ensuite de rompre les commandements, l’adultère, le vol, la convoitise, le mensonge… » Puisque nous sommes tous saints, arrêtons de nous casser la tête à devenir meilleurs ! ».
Ensuite parce que ce paragraphe des tsitsits est justement comme le remarque le midrash contigu de celui de la fin de la parasha de la semaine dernière : juste avant cette Paracha de Korah on a la péricope des tsitsits !
L’Éternel parla à Moïse en ces termes: « Parle aux enfants d’Israël, et dis-leur de se faire des franges aux coins de leurs vêtements, dans toutes leurs générations, et d’ajouter à la frange de chaque coin un cordon d’azur. Cela formera pour vous des franges dont la vue vous rappellera tous les commandements de l’Éternel, afin que vous les exécutiez et ne vous égariez pas à la suite de votre cœur et de vos yeux, qui vous entraînent à l’infidélité. Vous vous rappellerez ainsi et vous accomplirez tous mes commandements, et vous serez saints pour votre Dieu. Je suis l’Éternel votre Dieu, qui vous ai fait sortir du pays d’Egypte pour devenir votre Dieu, moi, l’Éternel votre Dieu! » (Nb 15, 37-41)
Pourquoi parle-t-on juste avant Korah de ce troisième paragraphe que nous récitons lors du Shema du matin en mettant les téfilins ?
Parce que, comme je vous le disais en début de cette derasha l’homme se détermine soit comme un objet dans un rapport de pouvoir ou de vassalité par rapport aux autres objets de ce monde et ses semblables qu’il assimile à des moyens objectifs; soit avec un regard spirituel qui scrute la profondeur du réel, par rapport à la royauté de l’Éternel. Une royauté étrange dont nous avons vu qu’elle était assez éloignée de nos petits appétits de pouvoir politiques autocrates.
Et ce paragraphe du Shema dit : « vous accomplirez tous mes commandements, et vous serez saints pour votre Dieu », la sainteté est donc le résultat de l’accomplissement des commandements, un but, une obligation, une responsabilité et non pas un état donné une fois pour toute. Il ne suffit pas d’être juif, encore faut-il en prendre la responsabilité.
Le Shema est progressif. Une fois qu’on a proclamé l’unité du D. un et l’obligation de l’aimer sans réserve, d’enseigner et transmettre sa Torah au coucher et au lever et partout, puis de poser le torah sur la main, entre les yeux et de poser des mezouzot sur les linteaux des maisons et des villes (Dt 6, 5-9)… le Shema, dans son second paragraphe dit la récompense ou la sanction de la transgression : l’harmonie écologique ou la stérilité de la nature (Dt 11, 13-21). Et pour celui qui n’a pas compris ces grands principes fondamentaux la Torah dit : regarde les franges de ton châle avec un fil d’azur et rappelles-toi : « vous serez saints » (Nb 15, 37-41). On va donc du plus général au plus concret. Du signe le plus concret à la signification profonde.
Quand je regarde les tsitsit je me rappelle des mitsvots. Je me rappelle que le chemin de la sanctification passe par l’accomplissement des mitsvots et que celle-ci constitue l’acceptation concrète du Royaume des cieux dans ma vie. Que cette crainte de D. me libère de la crainte des hommes et que libéré de cette peur je peux établir avec eux le Shalom. Affirmer la malkhout, la royauté de D. sur ce monde revient à faire et à se comporter comme si D. est le maître de sa création et de mon existence. J’entre alors dans une conception de la sainteté qui n’est plus idolâtrique, je ne regarde plus mon nombril, mon petit ego avec des œillères , mais je me vois comme D. me voit, gratuitement, par amour, pour rien, par sa pure bonté de créer ce monde et mon existence à chaque instant. Et quand je regarde les franges, j’en prends conscience et je comprends le pouvoir de D. sur sa création, le maassé bereshit de chaque instant, un acte de pure générosité que le juif, appelé à la sainteté d’HaKadosh Baroukh Hou, signifie, particularise, comme signe pour toute humanité.
Le bâton d’Aaron avait bourgeonné
Assez curieusement l’épisode des mutins qui ont été engloutis par la terre et des cent cinquante dignitaires offrant l’encens qui ont péri par le feu est suivi d’une sorte d’épidémie qui tue quatorze mille sept cents personnes (Nb 17, 13). Comme si le pouvoir absolu était contagieux et mortel. Chaque tribu inscrit donc son nom sur un bâton et Aaron sur celui de celle de Lévi.
Et par miracle le bâton d’Aaron fleurit et produit des amandes ; « pourquoi des amandes ? » demande Rachi ? Parce qu’ « elles sont, de tous les fruits, celui qui fleurit en premier. ». Ce bâton fleuri devient « un signe durable à l’encontre des rebelles » ; qui fait cesser les murmures contre l’Eternel. Là encore, la création et ses règles reprend le pas sur l’homme et sa folie de pouvoir mortelle. La vie est plus forte que la mort.
On se rappelle que le bâton est le signe du pouvoir du berger dans la Torah. Cette houlette, est en fait une branche recourbée qui permet au berger de rattraper la brebis qui s’évade par la patte. « Le Seigneur est mon berger, je ne manque de rien » dit le Psaume 23. D. est le berger de son peuple qui le conduit au désert où il est rassasié par la manne.
On se rappelle du bâton de Moïse transformé en serpent qui avale ceux des magiciens d’Egypte (Ex 7), du bâton tendu sur les flots qui ouvre la mer, du bâton qui frappe le rocher d’où jaillit la source … on peut signaler au passage que cette verge deviendra le sceptre des rois. La verge d’Aaron ne signifie pas un pouvoir autoproclamé ou de « droit divin » mais un pouvoir venu de la vie elle-même, de l’ordre naturel de la création. Le roi est celui qui assure la cohésion de la société dans la Torah selon un ordre du monde qui est celui de la création voulue par D. Un pouvoir qui n’a rien de sacré donc puisqu’il vient de la terre, du sol. D. est bien roi mais pas au sens de hommes. Il règne dans les cieux. Il est le véritable Maître du monde. Par amour.
Selon certaines traditions Le bâton fait référence au Roi Messie :
Et voici, la verge d’Aaron, pour la maison de Lévi, avait bourgeonné (Nombres 17, 23)… Cette même verge est également destinée à la main du Roi Machia’h (que cela arrive promptement!) comme il est dit, L’Éternel enverra de Sion la verge de ta force: Domine au milieu de tes ennemis! (Psaume 110, 2). (Midrash Rabba, Nombres 18, 23).
Le pouvoir selon la Torah sert au lieu de se servir, construit l’ordre de la nature, la vie profonde des peuples. Il sert d’abord les plus faibles, car Le roi selon les psaumes est celui qui comme l’Eternel : « délivre l’indigent qui implore, le pauvre qui n’a de secours à attendre de personne. Il prend compassion de l’humble et du malheureux, et protège la vie des faibles. Il délivre leur personne de l’oppression et de la violence, et leur sang est d’un haut prix à ses yeux. » (Ps 72, 12-14)
Voilà ce qu’Israël a apporté à l’humanité. Cette conception du pouvoir est radicalement hétérogène au pouvoir des Nations, elle le désacralise, le rend profane, dans le moment même où elle proclame la seigneurie de Dieu sur sa création. Les rois de la terre complotent, se liguent contre l’Eternel et contre son Machiah… Celui qui règne dans les Cieux s’en amuse dit le second psaume.
La veille de shabbat
Ton commentaire est superbe…
Merci Freddy, What’s up à Miami ?