Vayichma Yitro. La Paracha de Yitro commence par « Yitro entendit » et Rachi pose la question « Quelle nouvelle entendit-il ? ». Il répond : « la partition [du chant] de la mer des joncs et la guerre d’Amalek.»
Le verbe lichmoa signifie « écouter, entendre » comme dans le Chema ou lehakchiv lemichèhou « écouter quelqu’un » mais aussi « comprendre » et « obéir ». Le mot Vayichma Yitro au début de notre Paracha indique donc un niveau de compréhension qui dépasse la simple écoute.
L’écoute et la vision sont mélées, le Prophète Yirmayaou (23, 18) le souligne :
Qui donc [parmi eux] a assisté au conseil de l’Eternel, de manière à voir, de manière à entendre sa parole? (veyéiré veyishma et devaro) Qui a pu tendre l’oreille à ses discours et les recueillir (mi ikchiv devaro vayichma) ?
Là encore « obéir », accomplir, réaliser… c’est « ob-ouïr », ouïr, écouter.
Un psaume après s’être émerveillé de la révélation au Sinaï : « Il fit connaître ses voies à Moïse, aux enfants d’Israël, ses hauts faits. » (Ps 102, 7) ajoute plus loin (vs. 20) en parlant des anges qui devant l’Eternel accomplissent sa volonté : Bénissez l’Eternel, vous, ses anges, héros puissants, Ossé devaro Lichmoa beqol devaro, qu’on traduit par « qui exécutez ses ordres, attentifs au son de sa parole » ou plus littéralement : « qui réalisez sa parole pour écouter la voix de sa parole ».
Notons au passage que ces malakhim ces « anges » n’ont rien à voir avec ceux du christianisme, ce ne sont pas des pures idées grecques reflet de je ne sais quelle Idée qui ne serait que vue. Les anges de la Torah sont puissamment corporéisés. Ce que nous confirme la Haftarah :
« L’année de la mort du roi Ouzia, je vis le Seigneur siégeant sur un trône élevé et majestueux, et les pans de son vêtement remplissaient le temple. Des séraphins se tenaient debout près de lui, chacun, ayant six ailes dont deux cachaient son visage, deux couvraient ses pieds, deux servaient à voler. S’adressant l’un à l’autre, ils s’écriaient: « Saint, saint, saint est l’Eternel-Cebaot! Toute la terre est pleine de sa gloire! » Et les colonnes des portes s’agitèrent au bruit de cet appel, tandis que l’enceinte s’emplissait de fumée.» (Is 6, 1-4)
Ces purs esprits ont des ailes (six !) , un visage des yeux, des pieds… ils crient ! ils ont des corps, ce ne sont pas des belles idées sans mains. Il nous faut donc quitter l’imaginaire grec qui habite l’occident si nous voulons rejoindre cette pensée de la Bible. En effet, le mot grec eidos, « idée » qui vient du verbe « voir » a donné le mot grec eidolon », « idole » en français, une statue qui a des yeux grands ouverts comme on en voit dans la section des Antiquités grecques au Louvre.
Qui était Yitro le beau-père de Moshe ? C’était un prêtre de Madian, un idolâtre. Et Rachi précise qu’aucun culte idolâtre ne lui avait été étranger.
Les téhilim à la suite des prophètes d’Israël dénoncent ces idoles. Ainsi le psaume 115, 2 demande : « Pourquoi les peuples diraient-ils: « Où donc est leur Dieu? « … Les nations demandent à voir… hors le D. d’Israël est invisible, on ne peut pas le voir, il n’y a pas de statue dans le qadosh qadoshim au contraires de tous les grands sanctuaires sacrés antiques. A cela Israël répond que son D. est dans les cieux : veloéinou bachamaïm, « Les cieux, oui, les cieux sont à l’Eternel, mais la terre, il l’a octroyée aux fils de l’homme (v. 16). Bref l’Eternel n’est pas comme les choses qu’on voit sur cette terre. Et à propos des idoles des Nations : « Leurs idoles sont d’argent et d’or, œuvre de mains humaines. Elles ont une bouche et ne parlent point, des yeux, et elles ne voient pas; elles ont des oreilles et elles n’entendent pas, des narines, et elles ne sentent pas. » (Ps 115, 4-6). L’idole c’est cette illusion visible qui en met « plein les mirettes » : le joueur de football, la voiture rutilante au point qu’on se voit dedans, la beauté siliconée cousue main, la surface financière brillante, l’esprit qui brille en société…
Observez le dimanche, le jour sacré des chrétiens. Comme à Rome, des centaines de personnes s’entassent dans des stades pour voir courir un type qui suit un ballon et le lance dans un filet avec ses pieds … un truc complètement idiot si on y réfléchit cinq secondes… L’idole vit à ma place, elle court mais je ne cours pas, elle est adulée et me permet ainsi d’exister à mes propres yeux, elle vit devant mon regard… mais en réalité à ce moment moi je suis mort, elle est un culte de la mort. Le psaume constate : lo amétim yalelou-ya velo qol irdei doma « Ce ne sont pas les morts qui loueront le Seigneur, ni aucun de ceux qui sont descendus dans l’empire du silence, tandis que nous, nous bénissons l’Eternel, maintenant et à tout jamais. Alléluia! » (v. 17-18). Avec l’idole le temps passe sans que j’en prenne conscience, car elle vit à ma place. Le divertissement chatoyant aux yeux du spectacle du match fait que j’oublie de vivre. Je perds conscience du temps qui s’écoule, je tue le temps au lieu de le vivre.
LA PRISE DE CONSCIENCE DU TEMPS EST L’ESSENCE DU JUDAISME. La Paracha d’Yitro, interdit tout travail le Chabbath (Ex 20,10), pour l’homme, la femme, le serviteur, l’animal, l’étranger dans les murs… le Chabbat j’arrête le travail d’esclave qui m’abrutit pendant la semaine… qui passe sans que je m’en aperçoive pour prendre conscience du temps, de mon existence dans le temps. Cette prise de conscience est une re-création, un mémorial de la libération de l’esclavage en Egypte.
Voilà donc ce qui se passe au Sinaï. « Le peuple entier répondit d’une voix unanime: « Tout ce qu’a dit l’Éternel, nous le ferons! » » (Ex 19,8). Le Naassé Venichma « nous ferons et nous comprendrons » fait précéder la compréhension par l’obéissance, la mitsva est première. L’oeuvre spirituelle précède son exégèse. C’est en obéissant à D. qu’on comprend et non l’inverse.
Pour Abraham ibn Ezra (1089 – 1164) qui commente le naassé Venichma, le peuple s’engage pour ce qui a été déjà entendu, et pour tout ce qui reste à entendre pour les générations futures :
Et il prit le livre de l’Alliance : […] le sens de « nous ferons » tout ce qui est écrit et « nous écouterons » en permanence pour ne pas oublier de notre bouche. […]. On peut aussi expliquer: « nous ferons » les commandements plantés dans notre coeur, et nous écouterons les commandements reçus par tradition. Ou bien: « nous ferons » tous les commandements que nous ont été ordonnés jusqu’à présent, et nous écouterons tous les commandements futurs. Ou bien « nous ferons » les commandements positifs, et « nous écouterons » les commandements négatifs.
Dans notre Paracha à l’écoute répond le regard; comme si la parfaite perception unissait intimement ces deux réalité. L’Eternel dit au peuple : « Vous avez vu ce que j’ai fait à l’Egypte » (Ex 19, 4). « Tout le peuple voit les voix » (Ex 21, 15). La voix pénètre dans l’intérieur du corps, ce qui n’est pas le cas de la vue. Pourtant, la voix sans la vue n’est rien pas plus que la vue sans la voix n’existe. Pour D. dire c’est faire : Yei Or Vayei Or. Que la lumière soit, et la lumière fut. Il s’agit là d’une réalité originaire de la création.
On va retrouver cette alliance de l’écoute de la voix à la fin de notre Paracha :
Ve’atah im-chamoa tishme’ou bekoli « Et maintenant si vous écoutez Ma Voix » oushmartem et-briti « Et vous observez Mon alliance » viheyitem li sgoulah mikol-ha’amim « Vous serez pour Moi la meilleure part de tous les peuples » « Segoulah » veut dire « la meilleure part » et « la mise à part ». ki-li kol-ha’arets « Car toute la terre est à Moi. » Ve’atem tiheyou-li mamlekhet kohanim vegoy Qadoch « Et quant à vous vous serez pour Moi un peuple de prêtres et une nation sainte » (Ex 19, 5-6)
Dans un couple l’homme est du côté de l’écoute et la femme du côté du regard. Ce qidouch du mariage, cette sanctification est à l’image de l’alliance de D. avec Israël son épouse : e’atem tiheyou-li mamlekhet Cohanim vegoy Qadoch.
Pour finir un très beau commentaire de Rachi à propos de la phrase « Vous avez vu ce que j’ai fait aux Égyptiens; vous, je vous ai portés sur l’aile des aigles, je vous ai rapprochés de moi. » (Ex 19, 4).
« Sur des ailes d’aigles » Comme un aigle qui porte ses petits sur ses ailes. Car tous les autres oiseaux déplacent leur progéniture en la soulevant entre leurs pattes, de crainte d’un autre volatile pouvant voler au-dessus d’eux. L’aigle, en revanche, qu’aucun autre oiseau ne peut dominer, n’a peur que de l’homme et des flèches qu’il pourrait lui lancer. C’est pourquoi il installe ses petits sur ses ailes, en se disant : « Mieux vaut que ce soit moi que transperce la flèche plutôt que mes enfants ! » J’ai agi de la même manière : « l’ange de ha-Eloqim partit… » (14, 19), « [la colonne de nuée] vint entre le camp des Egyptiens et entre le camp d’Israël » (14, 20). Les Egyptiens lançaient des flèches et des projectiles de pierre, et c’est la nuée qui les recevait.
Très intéressant et très riche. Est ce que possible de recevoir vos pensées sur notre parapha avant shabbat ? D’avance merci.
Hélas non, car je retranscris ce que nous dis mon maître le Rabbin Harboun à Chabbath et enrichit le soir et le lendemain. Bien à vous. DL