Qu’a « entendu » Yitro ?

Je mêle ici des éléments de la deracha du rabbin Harboun hier à la synagogue (nous n’étions que miniane !) à mon étude, à ce qu’il m’a enseigné hier après-midi et dans nos multiples discussions, qu’il en soit remercié. Béni soit l’Eternel qui nous a donné la joie d’élever nos âmes par la connaissance !

mikve

Qu’a « entendu » Yitro ?

La paracha de Yitro est une paracha étrange. Elle est l’une des plus importantes puisqu’on y lit les dix commandements donnés au Sinaï. Les commentateurs se sont longuement étonnés que cette paracha qui résume le cœur de l’éthique d’Israël, les dix-commandements donnés au Sinaï, cette Lumière des nations, qui leur donné un jour chômé par semaine (« Souviens-toi du 7ème jour pour le sanctifier » Dt 20, 7 dit notre paracha)… Les commentateurs ont été frappés que cette paracha porte le nom d’un païen, d’un guer, un converti… en effet Yitro le beau-père de Moïse est le premier converti.

Pourquoi Yitro est-il placé juste avant la révélation par le don de la Torah comme un exemple à suivre ? Qu’a-t-il compris que nous aurions à apprendre ?

Nos Sages ont répondu à cela. Ils ont relevé que la Paracha commence par vayishma « Et Yitro fut celui qui a entendu (vayishma) (Dt 18, 1) ? » Et ils se sont demandés : « mais qu’a-t-il entendu ? ». Le passage de la mer des Joncs et la guerre de Amaleq répond Rachi par allusion au Talmud (TB Zevahim 116a).

Rabbi Josué dit : Il a entendu parler de la bataille avec les Amalécites, comme il est écrit avant (en Ex 18, 1), et Josué a déconcerté Amalek et son peuple par le tranchant de l’épée (Ex 18, 13). R. Eleazar de Modim dit : Il a entendu parler du don de la Torah et est venu. Lorsque la Torah fut donnée à Israël, le son de celle-ci la traversa d’une extrémité de la terre à l’autre, Et tous les rois païens furent saisis de tremblements dans leurs palais, et ils chantèrent, comme il est dit : Et tous dans son temple s’écrient : « Gloire ! » (Ps 29, 9) Ils se rassemblèrent tous près du faible Balaam, et lui dirent : Quel est ce bruit tumultueux que nous avons entendu : peut-être un déluge vient sur le monde, car il est dit : Le Seigneur était assis au-dessus des eaux tumultueuses ? – Le Seigneur est assis comme Roi pour toujours, il a répondu : le Saint, L’un, béni soit-Il, a déjà juré qu’il n’apporterait pas d’autre inondation sur le monde. [NDA : il ne peut régner sur ses créatures si celle-ci sont détruites par le déluge]

Le Maharal de Prague interprète la réponse des Sages en disant que ces deux événements comme la proclamation de la Torah au Sinaï ont été entendus de manière universelle, « d’une extrémité de la terre à l’autre ». Il reprend le Midrach qui dit que ce ne sont pas que les eaux de la mer des joncs qui se sont ouvert mais toute les eaux dans le monde entier, les mers, les lacs, les torrents, les ruisseaux, les sources, et jusqu’à la moindre goutte. Une séparation ontologique donc des eaux. De même pour la haine d’Amalek et ce qu’il a fait au peuple juif.

Yitro le converti a donc entendu au fond de son âme ces évènements qui ont bousculé l’ordre de la Création et l’ont traversée de part en part… et il est venu au sein d’Israël.

Qu’entend le converti par rapport à celui qui est né juif ?

Celui qui est né juif reçoit l’identité juive en héritage. Il peut ou non pratiquer la Torah, choisir ou pas de se rapprocher du bien, vivre un judaïsme à l’état végétatif sans étude et donc sans prise de conscience… il n’y a pas de fêlure d’identité originaire en lui, il est et restera juif, quoi qu’il en fasse. Ce n’est pas le cas du converti qui a entendu de manière inchoative la voix du Sinaï qui a changé l’ordre ontologique de la création, et qui donc est obligé de nommer ce qui lui arrive, d’entrer dans une prise de conscience (qui est le but des mitsvoth pour le juif de naissance ou converti !) un dépassement conscient de soi pour passer de l’idolâtrie aux mitsvot, de l’abrutissement à l’étude, de la mort à la vie. Le converti vit dans ce décalage par rapport à l’origine païenne, une exigence consciente de dépassement très déstabilisante.  Yitro se rapproche de « Yoter » qui signifie « plus » en hébreu et c’est ce qu’il va amener à Israël. C’est pour cela que de nombreux garnds maîtres du judaïsme sont des fils de convertis : comme Chémalya,  Avtalione, Rabbi Meïr descendant de Néron , Rabbi Akiba…

Le Talmud compare le converti à un nouveau-né, à un homme qui vit sur le fil d’une épée. Car le converti est seul, les païens, les chrétiens, lui reprochent son chemin signifiant (« pour qui se prend-t-il pour ne pas faire comme tout le monde ? ») … et les juifs se méfient de lui (« mais qu’est-ce qu’il nous veut ce goy ? »).

Le converti nait à chaque instant à nouveau dans une prise de conscience déstabilisante par pur choix et sans aucun autre intérêt que de mettre son corps en conformité avec son âme, ce qu’il a entendu. C’est pour cela qu’il porte un nom nouveau qui signifie cette rupture. Comme Rachi le souligne, le converti change de nom comme Abram devient Abraham, Saraï Sara…

« Yithro » Il portait sept noms : Re‘ouel, Yèthèr, Yithro, ‘Hovav, ‘Hèvèr, Qeini et Poutiel (Mekhilta). Yèthèr, parce qu’il a ajouté (yathar) un paragraphe à la Tora : « Et toi distingue d’entre tout le peuple… » (verset 21). Yithro, parce que, lorsqu’il s’est converti et a accompli les mitswoth, on lui a ajouté une lettre à son nom. ‘Hovav, parce qu’il chérissait (‘havav) la Tora.

Qu’est-ce qu’être juif ? Descendre et monter !

Il y a dans la paracha de Yitro un détail intéressant :

Quand l’Éternel appelle Moïse et le fait monter auprès de lui sur la montagne, pour rien moins que lui donner la Torah :

« Pour Moïse, il monta vers le Seigneur et le Seigneur, l’appelant du haut de la montagne, » (Ou moshé ala el aélohim, vayikra elayv Adonaï in aae lémor) (19,3)

C’est aussitôt pour le faire redescendre :

« Moïse descendit de la montagne vers le peuple, » (Vayered Moshe min aar) (19, 14)

Puis il le rappelle et Moïse monte à nouveau :

« Le Seigneur, étant descendu sur le mont Sinaï, (vayared Adonaï el Ar Sinaï) sur la cime de cette montagne, y appela Moïse; Moïse monta (vayael Moshe) » (19, 20)

Mais c’est pour lui dire de descendre:

« Descends avertir le peuple (red aed baam)» (19, 21)

Et il le lui ordonne une nouvelle fois ! Descend ! et Rachi souligne cette répétition « Va, descends Et avertis-les une seconde fois. Car on doit mettre en garde celui qui n’a pas encore agi, et répéter l’avertissement au moment de l’action (Mekhilta) ».

« Le Seigneur lui repartit : « Descends (lekh red), dis-je, puis tu remonteras accompagné d’Aaron. (19, 24)

Forcément Moïse obéit et descend :

« Moïse redescendit vers le peuple » (Vayéred Moshe) (19, 25).

Pourquoi donc l’Eternel commence par faire descendre l’immense Moshé ? Parceque c’est la condition du juif, de descendre. Moche était l’anav (« humble », d’un suffixe qui signifie courbé) par excellence « l’homme le plus humble que la terre ait porté » (Nb 12, 3). Il va donc s’abaisser et descendre.

Mais la condition de Moïse et du juif c’est toujours de remonter.

Quel peuple a été abaissé comme le peuple d’Israël. Quel peuple a été massacré comme Israël encore récemment : 6 millions vieillards, jeunes filles, enfants et nourrissons ? Tous ces inconnus qui ont attendu pendant des heures par – 15° dans le froid de Pologne, qui ont été conduits aux chambres à Gaz, dont le nom a été effacé par le régime nazi, que son nom comme celui d’Amalek soit effacé.(voir post suivant sur Tréblinka)

Quel peuple a été abaissé et est remonté comme Israël ? nous ne devons jamais rester en bas, mais mettre toutes nos forces pour remonter. Nous constaterons alors que ce n’est pas par nos propres forces que nous remontons, mais que c’est l’Eternel qui nous élève.

Nous ne devons jamais désespérer.

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