Il faut aller voir Brooklyn Yiddish de Joshua Weinstein. J’en sors. C’est un film magnifique, tout en émotions sourdes, en paroles à demi mots, aux ambiances envoûtantes et mélancoliques. Le tout en Yiddish. Servi par une musique exceptionnelle d’Aaron Martin (écouter ici toute la bande son). Un extrait :
Il raconte une histoire dans le monde haredi. Menashé, employé d’épicerie fait tout de travers, épuisé du début à la fin il est toujours à court d’argent et semble terrorisé par tout son entourage. Il est le père d’un enfant lumineux, Rieven, dont le Rav de la communauté (Grand Rabbin) a ordonné, suite à la mort de sa mère Léah, que l’éducation soit confiée à son oncle jusqu’à ce que son père Menashé se remarie.
Et ce Rav va permettre à l’enfant de passer une semaine avec son fils avant le repas qui clos l’année de deuil…
La critique déchaînée…
Il y a plusieurs lectures possibles du film. Les libéraux et les progressistes se sont acharnés : comment ces gens qui vivent en Pologne comme au 18eme siècle en plaine New York où livre Amazon ne respectent pas le « droit de garde » du père ? La communauté hassidique obéit à des principes immuablement « durs » dirigée par des gourous et la faute de Menashé est de transgresser « le respect des règles de sa communauté ». C’est toute la critique de Télérama . Cet homme « se bat pour la garde de son jeune fils », la paternité est un droit, c’est bien connu. Clap de fin. Il ne reste plus aux hassidim qu’à rencontrer John Lennon pour être éclairés par les lumières de la modernité néolibérale.

Pour Le Monde ça devient : « Le monde à part de ultra-orthodoxes »… le film montre « Le désarroi de la communauté »… « Le film de Joshua Z. Weinstein est devenu le vestige surprenant d’une Atlantide que l’on croyait disparue, celle du cinéma yiddish américain », etc… Que Le Monde ne s’inquiète pas la Yiddishkeit le précède de plusieurs siècles et lui survivra.
Une autre critique du même Monde est moins « bien pensante » : « Joshua Z. Weinstein filme respectueusement les mœurs et les rites d’un quartier juif ultraorthodoxe. »
Pour Le figaro « un juif hassidique se bat pour récupérer la garde de son fils ». Etc…
Donc, ceux qui pensent d’emblée que les juifs hassidiques qui vient dans le monde de la Torah n’ont rien à leur apprendre en ressortiront confortés dans l’idée qu’ils vivent dans le meilleur des mondes que de dangereuses sectes religieuses menacent. Mais pourquoi aller voir le film dans ce cas ?
Une autre histoire
En réalité il y a une autre lecture possible qui respecte plus l’écriture du film et son narratif.
Le film décrit en fait la fin de l’année de deuil et la date anniversaire de celui-ci (Azkara/ Yorkzeit)… sans ce détail on ne peut pas comprendre le film et le rapport entre la mort et la vie que symbolise la récitation du Kaddish des endeuillés, et du El Male Rahamim (Dieu empli de Miséricorde résidant dans les hauteurs, Accorde le juste repos sur les ailes de la Présence Divine parmi les saints et les purs qui brillent comme la splendeur du firmament…) puis le passage au mikvéh qui clôt le récit.
Et si l’acharnement apparent du patron, du beau-frère, du Rav… face au « bon gros » en permanence menacé dans sa paternité, dans lequel le spectateur se perd révolté au début du film n’en était pas un ? ça devient une toute autre histoire : celle d’un père qui va le devenir et de son enfant qui devient son fils. L’histoire d’une rédemption. DE la sortie d’un deuil.
Le film décrit un monde dans lequel la paternité n’est pas un droit mais un devoir. La filiation une construction et non pas un état de fait biologique. C’est évident pour la Tradition. Et finalement, le plus inquiétant est probablement que cette vérité du monde orthodoxe semble aujour d’hui si exotique à nos contemporains. on n’est pas père. On le devient.
Allez voir ce film si dérangeant. Il a probablement quelque chose à vous apprendre. Comme la série Shtisel. C’est une histoire universelle.
NB :
A la fin de la projection des gens se sont précipités sur moi en demandant : – Ils obéissent toujours au Rav ? Réponse : – Oui, si on fait confiance à un Rav ou à un Din sa parole est comme celle du tribunal céleste, c’est une parole de vérité et d’amour, de miséricorde et de justice.
La décision de suppression de l’enfant n’est pas un rabaissement de l’autorité paternelle (interdit par le judaisme), le film est un « cas d’école ». La paternité n’est pas un droit mais une fonction symbolique (Le Talmud envisage le cas où un enfant peut être circoncis par la communauté si le père refuse) Explication.
Un jour que j’étudiais le Seder Nachim (« les femmes », ketouboth, sotah… etc…) je demandais au Rav Harboun : » Mais pourquoi on dit : ‘si un homme avait une femme et qu’il meurt alors l’héritage ira … etc… puis 2 femmes… puis 3… puis 4… puis 5… etc. » On peut avoir 5 femmes ? Réponse : « Bien sûr que non c’est un cas théorique pour le raisonnement… » et il a ajouté : « Mais nous apprenons aussi de là que l’homme est naturellement polygame « . L’ étude renvoie toujours à l’action et à la décision. ainsi de ce film.
En-dehors du fait qu’il n’y a plus de films yiddish en France depuis 1930, que d’entendre parler le yiddish même teinte d’accent américain nous a fait à nous autres juifs alsaciens beaucoup de bien – dialectophone, nous comprenons très bien cette langue vernaculaire -, nous avons savouré ces instants magnifiques (tout le ban et l »arrière ban de la communauté Strasbourgeois à vu ce film, nous sommes tous retrouves dans la salle, très emus). J’ai trouvé l’histoire résolument moderne, un père qui doit faire son deuil, un enfant pris en charge par la famille pour qu’il ne perde pas totalement ses repères, votre interprétation est très juste. A notre époque, nous oublions très souvent qu’ il n’y pas que des droits, que ces droits se méritent en les assortis santé de devoirs. A Strasbourg, nous avons aussi nos « haredis » moins types qu’a Brooklyn, les « loulous » (très affectueusement), les Loubavitch qui ne deparent en rien dans le paysage. Notre monde actuel et en Europe tout particulièrement, la diversité à toujours du mal à se faire accepter….
Mince, je devrai attendre le DVD 🙁 Le magazine féministe Causette dit que c’est un film unique et courageux, une réussite. Et en voyant a bande annonce j’ai tout de suite pensé aux Shtisel les bien-pensants de « gauche » ne connaissent sûrement pas en France, pays où des géniteurs immatures ont le droit d’imposer une garde alternée à des bébés issus d’eux. Et je me demande ce qu’il en est d’une mère seule dans le hassidisme ? Quant à la polygamie, elle n’est la nature que de l’homme irresponsable et plus animal qu’homme, occupé de ses appétits davantage que de leurs conséquences.
Bon j’ai réussi à le voir in extremis. Il y a toute cette construction autour de l’apprentissage du rôle de père dont vous parliez, en effet. Mais ce que les choix du réalisateur donnent à voir de ces haredim de Brooklyn les dessert un peu à mon avis : prières sans commentaires, Shabbat un peu trop arrosé, positions très réac (pourquoi une femme n’aurait-elle pas le droit de conduire ?). Grande absentes de ce film, les femmes…