Gad,  « Reste un peu » !

Il faut être aveugle et sourd pour ne pas avoir entendu parler de l’Affaire qui enflamme les réseaux sociaux : la conversion au catholicisme de Gad Elmaleh, comique juif berbère marocain, roi du stand-up.

Judaïsmes berbères oubliés

Un autre juif berbère d’Algérie, avait enflammé les planches quelques mois auparavant sur le thème du « Grand remplacement ». Les journalistes écoutaient bouche bée l’homme sombre qui avec une onction d’évêque expliquait sans rire et dans une apocalyptique tragique l’éviction des chrétiens français de leur sol par l’immigration arabo-musulmane avant d’aller mettre des bougies à l’église la veille du premier tour. Il était question de l’identité chrétienne de la France de toujours et de réhabiliter Pétain. Le miracle ne se produisit pas.

Ces éruptions médiatiques spontanées de « ce qui reste de christianisme », opérées par des juifs religieux, sur arrière-fond d’effondrement sans fin de l’église catholique dans des scandales sexuels, laisse rêveur et nous rappelle que le mémoire chrétienne de la fille ainée de l’église reste prégnante dans les inconscients du royaume de France.

Comme si chaque citoyen ruminait au fond de sa mémoire collective et individuelle la nostalgie de ce temps béni où tout le monde venait d’un village avec son clocher au centre, ce clocher des « forces de l’esprit » que François Mitterrand avait convoqué sur son affiche de 1981, la « Force tranquille »… un lapsus ségualien (Ils sont partout) pour « la France tranquille ».

Voilà donc Gad Elmaleh, citoyen marocain, juif passé par la yeshiva-‘érudit’ donc du judaïsme, qui, enfant, contre l’ordre de son père est rentré dans l’église Notre Dame de Lourdes à Casablanca (il a retrouvé le nom sur Internet) et y a rencontré… sa mère : « Je suis tombé nez à nez devant une représentation gigantesque de la sainte Vierge qui me regardait droit dans les yeux ». Bref, il n’a pas « vu la vierge » mais pas loin. Et il finit par avouer au Figaro que la « Vierge Marie » avait été son « plus beau coup de foudre ». Comme si le passage perpétuel par glissement de la Vierge Marie à sa mère ne posait en soi aucun problème.

Sigmund Freud sort de cet homme !

Gad Elmaleh s’émerveille désormais de la sidération que produit sur lui le silence des églises… il a raison ! on est loin du balagan des synagogues séfarades où le rabbin doit crier et taper sur la tebbah pour se faire entendre !

40 ans, la crise. Voilà notre Gad reconverti en juif de cour d’une monarchie fantoche sur le rocher de Monaco ! Las, son fils Raphael ne sera jamais prince, malgré le baptême à l’église saint Jean Baptiste… Pas parce que sa mère Charlotte n’est pas princesse, mais parce que comme le dit le communiqué du palais « Ne peuvent prétendre au trône que les enfants nés de couples légitimes et unis dans la religion catholique » (comme son demi-frère Balthasar qui figure sur la ligne de succession au trône monégasque). « Charlotte et Gad ne sont pas mariés, ni même fiancés, tandis que Gad n’est pas catholique mais juif », précise encore le palais ! L’amour dure 4 ans. Caramba, encore raté ! Mais le spectacle continue…

La cinquantaine arrive… après avoir fait deux enfants non juifs, dont l’un baptisé catholique, c’est-à-dire après avoir transgressé tous les ordres de son père… notre ami Gad se retrouve à Lourdes, sur les pas de Bernadette Soubirous, la grande « voyante » de la vierge… il finance le spectacle et s’émerveille des dons.

Après le spectacle, le film ! Dans « Reste un peu » (sortie le 16 novembre), Gad nous raconte son chemin de foi qui l’a conduit à demander le baptême dans l’Église catholique. Sa mère Régine, son père David Elmaleh, et sa sœur Judith,  sont enrôlés dans l’affaire comme acteurs et lui-même joue son propre rôle. Bien sûr Gad a menti à son papa et sa maman pour les convaincre de participer au projet ! Il rapporte la sidération de sa mère quand elle réagit à cette annonce sur le plateau de tournage, le bon coup fait à ses parents et à la communauté juive… On imagine la Thérapie familiale de groupe et les repas de chabbat ou du dimanche.

Il sera baptisé, promis, juré ! deviendra Jean-Marie ! comme Aaron Lustiger… et tant d’autres juifs dans l’histoire qui cherchaient à se faire accepter dans des sociétés qui les rejetaient.

Cest tellement gros et une forme de decompensation utilisant le public qu’on ne sait plus ce qui est vrai…

Quelques réflexions personnelles

La conversion (publique ou non) à quoi que ce soit est une affaire trop sérieuse et personnelle pour qu’on puisse douter de la sincérité de ceux qui en font la démarche. La liberté de conscience (religieuse) est, d’autre part, la plus haute marche des droits de l’homme de l’édifice républicain.

Mais ayant fait le chemin inverse, de la conversion chrétienne au judaïsme en passant par 10 ans de monastère, pour retrouver mes origines juives marranes, permettez-moi quelques réflexions personnelles.

  • D’abord, le problème n’est pas celui des ‘explications’ de la conversion au christianisme. Car celui qui fait l’expérience extatique chrétienne, juive mystique (Cf le Baal Chem Tov) ou musulmane (soufisme) de D.ieu est comme un amoureux. Le Cortex frontal est débranché, la raison s’évapore, et les émotions dominent le sujet le temps au moins le temps de la fascination. La déconstruction du self est totale et la sortie vers un nouvelle identité indestructible. Avec un effet d’effondrement plus ou moins brusque et de reconstruction simultané. Cette expérience est profondément liée à une compensation face à la dépression. Le désir veut « voir » son objet et hystérise le réel de sa nouvelle découverte. D’Augustin à Luther ou Moïse au buisson ardent, l’expérience de D.ieu transforme celui à qui elle arrive et sa compréhension de soi bien au delà des arguments. Cela ne signifie pas que tout cela n’est qu’illusion mais que s’emmêlent là des causes psychiques personnelles qui doivent sérieusement être analysées avec un peu de recul ensuite… Il semble que notre ami Gad a rencontré la Vierge… mais D.ieu dans tout ça ? En saine théologie catholique la théologie mariale conduit à D.ieu sinon c’est de la pure idolatrie (avoda zara gad !)… et surtout la question est moins celle du coup de foudre – fut-ce pour la Vierge… que ce qu’on en fait !
  • Ensuite, à peu près tous les juifs que j’ai connus qui sont devenus chrétiens… sont redevenus plus ou moins juifs… Je me souviens de mon frère moine, le père Athanase Schwab qui, ayant redécouvert sa judéité, ne disait plus la messe qu’en hébreu à 80 ans à l’Abbaye de la Pierre Qui Vire! Ils redeviennent donc profondément juifs… ou vivent avec de gros problèmes de clivages (une culpabilité dépassée par une ‘saut dans le foi’, cf. Paul de Tarse). Car celui qui creuse le Christianisme finit inévitablement par lire les évangiles en hébreu et en araméen, la langue vernaculaire de Jésus et ses disciples. Il découvre peu à peu un étrange rabbi pharisien qui explique à ses disciples qui il est… dans la loi de Moïse, dans les prophètes et dans les psaumes (Lc 24, 44)…c’est à dire dans le TaNaKh propre aux pharisiens (acrostiche de Torah, neviim, kétouvim). Il découvre qu’un un certain Shaül de Tarse déclare à ses frères juifs pharisiens : « Hommes frères, je suis pharisien, fils de pharisiens; c’est à cause de l’espérance et de la résurrection des morts que je suis mis en jugement » (Ac 23,6). Une résurrection au cœur de la Amida… qu’il a appris « instruit aux pieds de Gamaliel dans la ‘connaissance exacte’ (‘Akribeia’, un mot qui désigne les pharisien pour Flavius Josèphe) de la loi de nos pères« ….« «  « Attache-toi à la poussière de leurs pieds et bois avec avidité leurs propos» (Avoth 1,5) recommande le Pirké Avot juif ou l’évangile de Marthe et Marie alors que Marie assise aux pieds de Jésus (Lc 10, 39) a choisi la meilleure part (c’est à dire l’enseignement de la Torah).
    Bref le judaïsme rabbinique s’est séparé en deux courants : l’un messianique extatique devenu le christianisme et l’autre rationnel, devenu le judaïsme rabbinique. Ce que le juif reconnait dans le christianisme c’est donc un vieux cousin suite à un divorce compliqué. Malek Chebel m’expliquait que le christianisme est féminin… il avait raison : la figure féminine par rapport à l’autorité paternelle de la Loi n’est donc pas anodine.
  • Ensuite faut il rappeler que Jésus n’a jamais voulu remplacer la sanctification du Dieu d’Israël par l’adoration de sa mère, Myriam. Au jeune homme riche qui lui demande ce qu’il doit faire le rabbi de Nazareth répond par le Chema Israël. « Un des scribes, qui les avait entendus discuter, sachant que Jésus avait bien répondu aux sadducéens, s’approcha, et lui demanda: Quel est le premier de tous les commandements? Jésus répondit: Voici le premier: « Ecoute, Israël, le Seigneur, notre Dieu, est l’unique Seigneur; et: Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton âme, de toute ta pensée, et de toute ta force » Voici le second: Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Il n’y a pas d’autre commandement plus grand que ceux-là ».. (Mc 15, 28-12) . Ce qui est strictement l’enseignement pour qui c’est un grand principe de la Torah. De même que Jésus meurt en disant « tout est accompli » (Jn 19, 30) un autre martyr juif des romains, Rabbi Akiva dit : ‘Tous les jours de ma vie j’ai été préoccupé par ce verset : ‘de toute mon âme’ qui signifie ‘même s’il te prend ton âme’. Je me disais : ‘quand parviendrai-je à l’accomplir (’aqayyemennu) ? Et maintenant que cela m’est donné, je ne l’accomplirais pas !’ Il prolongea le mot ‘Un’ jusqu’à ce qu’il rendit l’âme. Une voix céleste se fit entendre et dit : ‘Heureux es-tu Akiva, dont l’âme est sortie en disant : Un’ » (TB. Berakhot 61b ). (voir ici une étude plus approfondie) Le christianisme comme le judaïsme ou l’Islam proclament le e’had qui est au coeur du Chema Israël et des monothéismes. D.ieu est UN car il ne fait pas nombre avec ses créatures, fut-ce la mère de Jésus… La théologie de l’église s’est toujours méfiée d’une spiritualité mariale auto-centrée qui ne mènerait pas au D.ieu… d’Israël. La tradition de l’église fut-ce dans ses plus sombres heuers de superstition n’ a jamais prétendu remplacer le culte de D.ieu par celui de la vierge Marie. Alors ça vaut le coup d’étudier un peu le Christianisme avant d’être le Paul de Tarse du stand-up !
  • L’hébreu, toujours l’hébreu… j’ose rappeler à notre ami Gad qui connait l’hébreu le verset d’Isaïe « Voici, la jeune femme (alma) est enceinte, elle va mettre au monde un fils, qu’elle appellera Immanouel. » הִנֵּה הָעַלְמָה הָרָה וְיֹלֶדֶת בֵּן וְקָרָאת שְׁמוֹ, עִמָּנוּ אֵל (Is 7,14). Cette prophétie a été comprise comme l’annonce de la naissance de Jésus et a donné le dogme de la conception virginale de Jésus. Le mot alma qui été traduit par parthénos dans la Septante grecque ne signifie pas « vierge » en réalité (bétoula en hébreu) mais « jeune-fille » (alma).
    Le fantasme régressif de la femme ‘vierge’ vient du monde gréco-romain. Il a conduit à des aberrations en Islam (les 70 vierges) et dans le christianisme (pédophilie). C’est respecter la Myriam des évangiles que de dire cela.
  • Enfin les conversions de juifs au christianisme se comptent par millions depuis l’Inquisition. Mais pour nous autres juifs, les marranes sont juifs… L’effacement de la mémoire juive par re-nomination, conversion ou mensonge pose problème de nombreuses générations plus tard. L’illusion se dissipe par un phénomène d’anamnèse douloureux… et la personne se sent « une âme juive exilée dans un corps de chrétien »… comme cela m’est arrivé. Bref : isolée. Autant dire que ce clivage insupportable, cette haine de soi, se transmet de manière enfouie, traverse la mémoire transgénérationnelle incognito… Mais l’âme juive est immortelle, et, tôt ou tard, comme une braise sous la cendre, elle se réveille. Le chemin pour dépasser ce clivage par la raison, la généalogie, l’histoire et la psychologie clinique est alors long, complexe et douloureux. Sans compter les problèmes de psychoses en troisième génération que pose le mensonge sur l’identité juive ou la nomination… J’ai vécu tout cela et je l’ai payé suffisament cher pour ne pas en témoigner.

La conversion de Gad Elmaleh et surtout son écho médiatique sont donc intéressantes pour ce qu’elles révèlent du trouble de la mémoire juive dans des sociétés post-chrétiennes qui ne savent plus qui elles sont après la longue chute de l’empire romain au contact d’autres cultures portées par la globalisation et ses migrations. Ces « conversions » expriment le trouble psychique d’une société que des juifs sont les premiers à ressentir et qualifier dans des « passages à l’acte » compulsifs.

Alors que le paganisme de masse des célébrités et les illusions consuméristes montre sa vanité, le message monothéiste des disciples du rabbi Jésus ou de Mahomet a incontestablement un rôle à jouer, à condition de se défier de la société des célébrités et du spectacle… et de s’expliquer avec sa mémoire juive. Car cet effacement, et l’histoire le montre à l’envie, est propice à tous les délires meurtriers.

D.ieu est à perte de vue mais à portée de voix dans la Bible. C’est sans doute le message de Moise au mont Sinaï, de Paul de Tarse aveuglé tombé de son cheval sur la route de Damas, de Muhammad qui brise les idoles. A celui qui attend le grand spectacle de l’ouragan, du tremblement de terre et du feu, D.ieu se montre comme au prophète Elie « murmure d’une brise légère ». « Aussitôt qu’il l’entendit, Élie se couvrit le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la caverne. Alors il entendit une voix qui disait : « Que fais-tu là, Élie ? » (1 R 19).

Bref, sans spectacle.

Que fais-tu là, Gad ?

Gad Elmaleh a intitulé son film « Reste un peu », comme un lapsus. C’est ce que je lui conseillerais. « Ecoute, reste encore un peu »…

Et juste après : « Aime et fait ce que tu veux » (Augustin d’Hippone).

« Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés. Car on vous jugera du jugement dont vous jugez, et l’on vous mesurera avec la mesure dont vous mesurez » (Mt 7, 2).

« C’est à la mesure que l’homme mesure [son prochain, dans le sens de jugement] qu’il sera mesuré [jugé] » (Mishna Sota 1, 8 ). Car, « Le Saint, béni soit-Il, rend mesure pour mesure » (TB Sanhédrin 90, a).

3 commentaires sur « Gad,  « Reste un peu » ! »

  1. Lutter comme Jacob; lutter avec l’ange, comme on lutte avec ses origines .
    (Philipp ROTH).

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