Un article de Marie-Pierre Samitier sur son blog
Faire des choix ? Les fonctionnaires dans l’Europe des dictatures 1933-1948.
Le colloque organisé par le Conseil d’Etat et l’EHESS les 21, 22 et 23 février explorait l’action de l’appareil d’Etat au temps de l’Occupation. Utilisant le droit et s’appuyant ainsi sur une légitimité formelle, les fonctionnaires devaient servir l’Etat et obéir aux ordres reçus… obéir jusqu’où ? Quand le droit ne protège plus l’individu et qu’il attente à la dignité humaine, les fonctionnaires les plus zélés n’ont-ils pas un devoir de désobéissance au nom de la loi morale ?
Ce colloque, inauguré par le Président de la République François Hollande, a ceci de remarquable qu’il exprime la lecture qu’ont les représentants de nos institutions et les intellectuels de l’histoire de Vichy et de la mémoire de la Shoah. Comment notre vieille démocratie a-t-elle cautionné par le droit et avec les agents de l’Etat l’extermination d’un peuple, et pourquoi cela a-t-il été possible ? C’est ainsi que le droit français, dans l’esprit des doctrines nazies, a mis en oeuvre les mécanismes d’exclusion des juifs, avec la mise en application des textes par les fonctionnaires, serviteurs de l’Etat. Plusieurs lois en 1941 (2 juin, 22 juillet) vont ainsi » interdire aux juifs d’exercer une profession libérale, une profession commerciale … être titulaire d’une charge d’officier public ou ministériel ou être investi de fonctions dévolues à des auxiliaires de justice dans les limites et conditions fixées par décret en Conseil d’Etat ».

Auteur d’un livre sur la question ( ‘Aryanisation économique et spoliations en Isère’), Tal Bruttmann que j’ai rencontré à l’occasion de l’exposition sur la spoliation des biens juifs au Mémorial de la Shoah a détaillé les agissements à la préfecture de l’Isère pendant les années de l’Occupation, expliquant par exemple comment une administration peut refuser un avancement à une fonctionnaire auquel elle a droit. Bruttmann a raconté dans un livre ( ‘La logique des bourreaux’ ), comment l’arrivée des Allemands à Grenoble a transformé la ville en enfer. Grenoble et sa région où de nombreux juifs s’étaient réfugiés à partir de 1939. Plus de 700 personnes y ont été arrêtés et envoyées dans les camps de la mort. (suite sur la blog de Marie-Pierre Samitier)
A lire : Tal Bruttmann, Aryanisation économique et spoliations en Isère, 1940-1944, PUG, 2010.
L’un des volets de la politique antisémite mise en oeuvre par l’Etat français entre 1940 et 1944 contre les Juifs de France fut l’organisation de leur dépossession. Dans le cadre de la politique d' »aryanisation » économique, les entreprises, commerces biens immobiliers furent systématiquement spoliés par l’action des administrations françaises sur l’ensemble du territoire. Cet ouvrage, qui conclut les travaux de la Commission d’enquête mise en place par la ville de Grenoble sur la spoliation des Juifs sous Vichy, s’attache à mettre en lumière ce processus tel qu’il s’est déroulé dans le département de l’Isère et répondre à un certain nombre de questions: quelle fut l’ampleur des biens touchés? Quelles furent les conséquences de cette politique d’exclusion pour les victimes, alors que parallèlement se mettait en place la « solution finale »? Comment, enfin, s’effectuèrent, après la libération, les restitutions ordonnées par la République?