De Eliézer Ben Yehouda à Nurith Aviv

Annonces

Je vous invite à venir voir le film de Nurith Aviv :
« annonces »
au cinéma Les 3 Luxembourg
67 rue Monsieur Le Prince 75006 Paris
Mardi 26 novembre à 21h00
La projection sera suivie suivie d’une rencontre avec :
Gérard Haddad et Didier Long en présence de Nurith Aviv

Nurith est cette cinéaste dont je vous avais parlé dans un de mon post « Nurith Aviv, La rescapée d’entre les mots » 

Annonces esquisse le portrait de sept femmes qui composent sur un même thème. Elles prennent pour point de départ les récits des Annonces faites à Hagar, Sarah et Marie, que racontent la Torah, le Nouveau Testament et le Coran.

Chacune de ces femmes, en y mêlant sa propre histoire, ses mythes personnels, tire le fil de ses associations à travers la mythologie, l’histoire de l’art, la poésie, la philosophie, la psychanalyse…
Annonces est un film sur le mouvement de la pensée, le pouvoir des mots, le secret de la voix, la séduction de l’image.

Au fond Nurith creuse son thème originaire, celui de « Langue sacré, langue parlée », de Misafa Lesafa (D’une langue à l’autre).

En novembre le cinéma Les 3 Luxembourg présente une rétrospective de ses films : CIRCONCISION • VATERS LAND • D’UNE LANGUE A L’AUTRE • LANGUE SACRÉE, LANGUE PARLÉE • TRADUIRE Gérard et moi-même parleront avec elle et vous en débat après le film.

Eliézer Ben Yehouda

Le film de Nurith et l’évocation de son oeuvre me donne l’occasion de vous parler d’un autre personnage étrange et fascinant  en filigrane de l’oeuvre de Nurith :  Eliézer Ben Yehouda (sa fiche wikipédia). On trouve partout en Israël des rues Eliézer Ben Yehouda. Qui est-il ?

Rue Ben Yehouda

Photo prise il a 15 jours à Tel Aviv

L’hébreu langue des prières des ketouboth (contrats de mariage), de la poésie et des lettres qui traversaient le monde d’Espagne en Inde ne  fut jamais oublié. Mais c’est Eliézer Ben Yehouda qui a véritablement ressuscité l’hébreu comme langue vernaculaire, qui l’a fait passer de la langue de la prière à celle de la rue. Il ne s’agissait en rien d’une ‘profanation’ mais d’un acte volontaire qui a changé l’histoire d’un peuple.

Bien sûr on parlait l’hébreu au Maroc ou en Ukraine, mais cette langue n’était plus celle de la rue où on parlait judéo-arabe, Yiddish, ou ladino, à base d’hébreu et d’arabe ou d’allemand, ou d’espagnol avec syntaxe hébraïque, des langues vernaculaires modernes comme l’araméen fut celle de l’Antiquité et du début de notre ère.

Eliézer Ben Yehouda né en Lituanie en 1858, orphelin à cinq ans, élévé en yeshiva, après des rencontres à Paris et en Algérie découvre que l’hébreu pouvait facilement être parlé. Lors de son mariage puis sur le bateau qui l’ emmène en Palestine avec sa jeune épouse Déborah en 1881, il jure de ne plus s’exprimer désormais qu’en hébreu. Arrivé au port de Jaffa (Tel Aviv moderne), celui qui n’est encore que Eliézer Perlman se présente aux autorités turques sous le patronyme hébraïque « Ben Yehuda ». Son fils aîné Ithamar , naît  à Jérusalem en 1882. Il décide que son enfant qu’il isole du reste du monde,  ne parlera plus que cette langue. Ithamar devint donc le « premier homme » à parler uniquement hébreu. Il travaille dés lors à établir un Dictionnaire général de la langue hébraïque ancienne et moderne (17 volumes) dont la publication n’a été achevée qu’après sa mort par sa veuve et son fils.

Eliezer_Ben-Yehuda

Pour Éliézer ben Yehouda, comme pour son fils Ithamar, la renaissance de l’hébreu comme langue vernaculaire du peuple juif  faisait parti intégrante du projet de renaissance nationale d’Israël sur sa terre.

Eliézer et son fils inventent des mots couramment employés aujourd’hui comme  milon « dictionnaire » (forgé à partir du mot mila qui veut dire « mot ») ou lehitraot, calqué sur le français « au revoir ». Ainsi naquit l’hébreu moderne.

Eliézer Ben Yehouda-le rêve traverséGérard Haddad dans : Éliézer BEN-YEHOUDA, Le Rêve traversé, suivi de BEN-AVI (Ithamar), Mémoires du premier enfant hébreu a traduit chez Desclée de Brouwer en 1998 les récits autobiographiques de Ben yahouda et de son fils, les précédant d’une réflexion personnelle : La Psychose inversée. Le livre parait en France… dans un silence assourdissant.

Éliézer ben Yehouda mourra en Palestine en 1922, sont fils  Ithamar,  aux États-Unis en 1943. Ils sont les pionniers de la renaissance de l’hébreu moderne. De la rencontre de leur rêve individuel et de celui d’un peuple est né l’hébreu moderne langue officielle du nouveau mandat britannique adoptée quelques mois avant sa mort et qui devient en 1948 celle de l’Etat d’Israël.

L’œuvre de Nurith raconte cette naissance des mots dans leur magie. Alors que dans l’annonce de la parole d’autrui dans son étrangeté se fait pour chacun de nous un monde enfin fraternel. un monde d’après le tohu bohu du commencement de tout monde. Une parole sortie du néant de l’âme, de la psychose.

Au commencement, D. créa le ciel et la terre. Or la terre n’était que solitude et chaos [tohou vavoou] ; des ténèbres couvraient la face de l’abîme, et le souffle de D. planait à la surface des eaux.

Genèse 1, 1-2

Il l’a trouvé dans une contrée déserte, Dans une solitude [tohou] aux hurlements sauvages ; il le protège, il veille sur lui, le garde comme la prunelle de son œil.

Livre du Deutéronome 32, 10

Ici un article très fouillé de l’historienne Mireille Hadas-Lebel sur ce sujet

Un commentaire sur « De Eliézer Ben Yehouda à Nurith Aviv »

  1. Je ne peux que recommander la lecture du livre tout à fait fascinant de Gérard Haddad… une aventure humaine vraiment extraordinaire et des documents de première main. Magnifique.

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