Qu’est-ce qu’un homme politique ? Moïse

Moïse de Michel Angelo

De la politique

Comme disait Bernardo Provenzano le chef de Cosa Nostra : « Commander c’est mieux que baiser ! » ; Voilà un sage, il avait choisi !… Nos politiques modernes, eux, allient ces deux addictions avec parfois une autre  : la passion de l’argent. Le pouvoir, le sexe, l’argent voilà l’homme.

La politique selon la Bible n’est pas un culte du pouvoir mais une compassion pour son peuple. Une compassion illimitée pour les proches de son peuple.

On en est tellement loin dans tous les pays du monde : aux US avec l’invasion brutale du Capitole et en face la qualification du petit peuple de « panier des pitoyables » par Hillary Clinton; en France où la tyrannie et le culte par le pouvoir des préfets est en train de dominer la technostructure administrative qui était jusque-là un équilibre de pouvoirs subtils des différents corps…

La France où les ministres se pressent pour faire la Une des magazines comme des people alors que ministre, minister en latin, signifie plus simplement « serviteur »… qu’on se dit que ce message bien oublié de la Bible est proprement révolutionnaire.

Moïse, dans la Torah, est le messager par excellence de cette compassion pour le peuple, la figure tutélaire d’où émanent les valeurs dont se sont réclamées toutes les révolutions depuis la sortie d’Egypte.

On est loin, très, très loin des politiques modernes redevenus comme les bon vieux empereurs gréco-romain des adorateurs du culte de la force et du pouvoir. L’imperium à Rome c’est le culte de la force, « le fondement de l’imperium est le droit et le pouvoir de consulter les dieux » – Pierre Grimal; Cette faculté sacrée permettait par la divination de savoir si les dieux étaient ou non favorables afin de prendre telle ou telle décision. Exemple : « Alors on le lance ce vaccin ou pas ? »

Nous autres juifs en sommes très loin ! Il ne s’agit pas de paraitre auprès des puissants, et d’éventuellement manger quelques petits fours si possible cachers mais bien d’aimer son peuple.

Le politique pour ce commencement du Livre de l’Exode ce n’est pas un grand homme aux grandes idées qui projette ses concepts dans le réel selon une sorte de ministère de la parole mais quelqu’un qui voit la souffrance de son peuple, la fait sienne et passe à l’action… on est très, très loin.

Examinons donc ce que nous en dit le Livre de l’Exode.

Se faire un nom

Nous commençons Chemot, le Livre de l’exode, le « livre des Noms » en réalité. Pourquoi D.ieu énumère-t-il les dès le début les noms des tribus d’Israël comme au début de chaque livre de la Torah : « Parce qu’il les aime » nous répond Rachi :

« Il les compte cependant à nouveau après leur mort pour marquer combien Hachem leur est attaché (Midrach tan‘houma Chemoth 2). Car ils sont comparés aux étoiles, que Hachem fait sortir et rentrer en les comptant et en les appelant par leurs noms, ainsi qu’il est écrit (Yecha’ya 40, 26) : « Il fait sortir leur légion céleste en les comptant, Il les appelle toutes par leur nom […] aucune n’est manquante » (Midrach tan‘houma). »

Tout a été dit et écrit sur Moïse, ce premier grand homme politique juif que nous présente la Bible. Premier car si Joseph, le premier marrane, vit incognito en Egypte Moïse, lui non seulement est reconnu comme juif, la servante de la fille de Pharaon le reconnait comme un hébreu dans son panier qui flotte sur l’eau : « C’est quelque enfant des Hébreux. » (2, 6) 

En écoutant ce matin, j’ai encore été frappé : le mot Yeladim (les enfants) : (ceux des sages-femmes juives qui les laissent vivre), scande toute cette première paracha. Moïse est appelé ainsi jusqu’à sa nomination par la fille de Pharaon.

Curieusement, La mère juive de Moïse ne lui donne pas de nom à la naissance, Moïse est appelé yèlèd (« nouveau-né, enfant ») par le texte non de sa mère mais par la fille de Pharaon…

Quand ? seulement lorsque « L’enfant devenu grand« .

« L’enfant devenu grand, elle le remit à la fille de Pharaon et il devint son fils; elle lui donna le nom de Moïse, disant: « Parce que je l’ai retiré des eaux. » » (Ex 2, 10)

Rachi s’emmêle les pinceaux pour retrouver la racine juive qui donnerait à Moïse un nom hébraïque, car yèlèd (« nouveau-né, enfant ») est issu de la racine yalad, racine hébraïque équivalente de l’égyptienne mesi/mas/mes qui signifie « enfanter », ce que sait Sforno.

Moshé, est le participe actif de masha en hébreu (littéralement « tiré de »), qui signifie au mieux « celui qui tire, tirant ». Un nom d’origine égyptienne donc. Etrange, étrange.

Les Hakhamim soulignent que sa mère lui a donné l’héritage identitaire hébraïque puisque dés le début il est reconnu par la fille de Pharaon comme tel, et à que sa sœur lui recommande de lui donner une nourrice hébraïque. Son premier acte identitaire juif sera de défendre un homme de son peuple agressé par un égyptien, puis vient immédiatement le second : Moïse empêche des hébreux de sa battre entre eux.

Moshé est donc seulement un « enfant hébreu » tiré des eaux de sa mère, jusqu’au moment où on le nomme et où il devient comme instantanément une émanation symbolique de l’identité de son peuple. Un homme politique.

L’empathie de Moïse pour son peuple

Aussitôt nommé, on précise dès le verset suivant, un seconde fois, que Moïse a grandi. Et le corollaire de cette croissance consiste à voir et éprouver de la compassion pour les gens de son peuple :

« Or, en ce temps-là, Moïse, ayant grandi, alla parmi ses frères et vit leurs souffrances. » (2,11)

Le midrash Beréchith raba s’étonne de la répétition du fait que Moïse ait grandi et commente le « il vit » (Wayar)

« Il s’appliqua de tous ses yeux et de tout son cœur à souffrir avec eux [le vers rao (« voir ») s’employant avec une connotation de sympathie] » 

Qu’est ce qui caractérise avant tout Moïse comme homme politique ? la compassion pour son peuple. Il les voit et ne peut pas ne pas éprouver les même sentiments qu’eux, prêt à tuer pour cela :

« Il aperçut un Égyptien frappant un Hébreu, un de ses frères. Il se tourna de côté et d’autre et ne voyant paraître personne, il frappa l’Égyptien et l’ensevelit dans le sable. » (Ex 2, 12)

Il incarne le lien qui fait le peuple :

« Étant sorti le jour suivant, il remarqua deux Hébreux qui se querellaient et il dit au coupable: « Pourquoi frappes-tu ton prochain? » » (Ex 2, 13)

C’est à partir de cette prise de conscience politique que Pharaon veut le faire mourir.

Problème : Moïse est bègue. Comme diriger un peuple en étant bègue ? C’est donc D.ieu lui même qui va mettre ses paroles dans sa bouche comme il le fera à nouveau pour le prophète Jérémie ainsi que le raconte la Haftarah séfarade de ce jour.

A travers Moïse c’est D.ieu lui-même qui dévoile sa propre identité en disant : « »J’ai vu, j’ai vu [répété deux fois !) l’humiliation de mon peuple qui est en Égypte ; j’ai accueilli sa plainte contre ses oppresseurs, car je connais ses souffrances. » (Exode 3,7-8)

Rachi commente :

Car j’ai vu ses douleurs; C’est comme dans : « Eloqim sut » (supra 2, 25). C’est-à-dire : Car j’ai appliqué mon cœur à comprendre et à connaître ses souffrances. Je ne me suis pas caché les yeux, je ne me suis pas bouché les oreilles pour ne pas entendre leur cri.

Dieu a vu la misère de son peuple, il a entendu ses cris, il est descendu le sauver. Il passe du regard à l’action. Ex 3, 7 est donc un écho de Ex 2,25.

« Puis, le Seigneur considéra les enfants d’Israël et il avisa. » (Ex 2, 25)

Rachi commente :  

« Eloqim sut : Il a porté sur eux Son cœur, et Il ne s’est pas caché les yeux [pour ne pas les voir]. »

Dieu est à perte de vue et a porté de voix mais il voit. Et ce regard n’est que compassion.

Dieu révélera à Moïse qu’il est lui-même cette miséricorde qui l’habite. Cette empathie qui permet de souffrir de la souffrance d’autrui. Quand Moïse lui demande son Nom, il lui répond de sa miséricorde fidèle et bienveillante :

« Éternel, Eternel, D.ieu miséricordieux et bienveillant, lent à la colère, plein de fidélité et de loyauté, qui reste fidèle à des milliers de générations, qui supporte la faute » (Ex 34,6)

Le prophète Osée exprimera avec force cette exigence de la miséricorde de D.ieu qui est D.ieu lui même, la faisant passer bien avant le culte : « C’est la miséricorde qui me plaît, non le sacrifice. » (Osée 6, 6). Le « Soyez saints car je suis saint » (Lévitique 19,2).

Cette miséricorde qui est la nature même de Dieu est une sagesse politique.

La compassion de Moïse pour son peuple ira jusqu’au bout. Par empathie pour la génération qui a fauté au désert, il n’entrera pas en Terre promise. Condamné avec eux pour avoir fait le veau d’or. Il restera l’homme de sa génération solidaire avec elle jusque dans la punition. Lui « l’homme le plus humble que la terre ait portée » qui avait brisé le veau d’or.

La Torah, un programme politique concret et efficace

La Torah est très claire sur les actions concrètes à mettre en œuvre :

– « Au bout de trois ans, tu prélèveras toute la dîme de tes produits de cette année-là, mais tu les déposeras dans ta ville. Alors viendront le lévite – lui qui n’a ni part ni patrimoine avec toi -, l’émigré, l’orphelin et la veuve qui sont dans tes villes, et ils mangeront à satiété, pour que le Seigneur ton Dieu te bénisse dans toutes tes actions ». (Dt 14,28-29)

« Au bout de sept ans, tu feras la remise des dettes. Et voici ce qu’est cette remise : tout homme qui a fait un prêt à son prochain fera remise de ses droits : il n’exercera pas de contrainte contre son prochain ou son frère, puisqu’on a proclamé la remise pour le Seigneur. » (Dt 15,1-2)

« S’il y a chez toi un pauvre, l’un de tes frères, dans l’une de tes villes, dans le pays que le Seigneur ton Dieu te donne, tu n’endurciras pas ton coeur et tu ne fermeras pas ta main à ton frère pauvre, mais tu lui ouvriras ta main toute grande et tu lui consentiras tous les prêts sur gages dont il pourra avoir besoin. » (Dt 15,7-8)

« Si, parmi tes frères hébreux, un homme ou une femme s’est vendu à toi et s’il t’a servi comme esclave pendant six ans, à la septième année tu le laisseras partir libre de chez toi. Et quand tu le laisseras partir libre de chez toi, tu ne le laisseras pas partir les mains vides; tu le couvriras de cadeaux avec le produit de ton petit bétail, de ton aire et de ton pressoir : ce que tu lui donneras te vient de la bénédiction du Seigneur ton Dieu. Tu te souviendras qu’au pays d’Égypte tu étais esclave et que le Seigneur ton Dieu t’a racheté. C’est pourquoi je te donne ce commandement aujourd’hui. » (Dt 15,12-15)

On en est loin avec les pouvoirs de ce monde, très, très loin ! ces textes les giflent et D.ieu les vomit.

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