Ce shabbat à la synagogue nous avons fait le Seder de Tou BiChevat, le 15 du mois de Chevat, le « nouvel an de l’arbre », le « jugement des arbres » !
Après avoir fait le quidouch (bénédiction) sur la coupe et béni le pain nous avons dit des bénédictions sur :
1/ Les fruits d’eretz Israël ; dans l’ordre : Pain-blé, Olive, puis datte, raisin, figue, grenade,cédrat.
Baroukh Ata Adonay Elohénou Mélekh Haolam Boré Miné Mézonot – « Loué sois-Tu Seigneur notre Dieu, Roi de l’univers, qui crée les différentes sortes d’aliments »
Ces sept espèces sont mentionnées par le Livre du Deutéronome :
Car l’Éternel, ton Dieu, te conduit dans un pays fortuné, un pays plein de cours d’eau, de sources et de torrents, qui s’épandent dans la vallée ou sur la montagne, un pays qui produit le froment et l’orge, le raisin, la figue et la grenade, l’olive huileuse et le miel; un pays où tu ne mangeras pas ton pain avec parcimonie, où tu ne manqueras de rien (Dt 8,8) ; (Cf, le ps 22 « l’Eternel est mon berger, je ne manque de Rien).
2/ Les fruits des terres des nations du monde : Pomme, amande, noix, mandarine
La pomme est celle du Cantique des cantiques :
Comme un pommier (כְתַפּוּחַ) parmi les arbres de la forêt, tel est mon bien-aimé entre les jeunes gens. A son ombre, j’ai désiré m’asseoir, et son fruit est doux à mon palais. […] Soutenez-moi avec des gâteaux de raisins, rafraîchissez-moi avec des pommes (בַּתַּפּוּחִים) ; car je suis malade d’amour. (Ct 2,3-5).
Que tes seins soient comme des grappes de raisin,la senteur de ton souffle comme celle des pommes (כַּתַּפּוּחִים) … (Ct 7, 9)
Qui est celle qui monte du désert, appuyée sur son bien-aimé ?
Je t’ai éveillé sous le pommier (הַתַּפּוּחַ) ; là même où ta mère t’a conçu,
là où t’a conçu celle qui t’a mis au monde. (Ct 8.5)
Le Bien-aimé symbolisant l’Eternel.
Les amandiers en Israël fleurissent à cette saison – avant tous les autres arbres. Leur fruit peut parfois être cueilli dès le mois de mars – six mois avant la plupart des autres fruits.
Amandiers sur la route de Jérusalem (source: blog)
Jr 1,11 «Je vois une branche d’amandier.» Ils sont signe de la Guéoula (délivrance) et du regard du prophète qui en voit les signes, qui sait décrypter l’œuvre de création de l’Eternel. La « Création » hébraïque est liée à une conception positive du temps, non pas une fabrication du monde « terminée » mais un processus qui continue et qui au lieu de nous tuer-on marche toujours sur des ruines, advient et se poursuit… pour qui sait regarder sans nostalgie pour un quelconque « paradis perdu ».
3/ Notre pays de galout (dispora, exil) : noix, banane…
Depuis le XVIème siècle, date des expulsions d’Espagne cette fête est un témoignage d’amour pour la Terre Promise. Les marranes se pressaient dans les caves pour la célébrer alors qu’ils avaient tout perdu.
Une tradition est rapportée au nom du Ari hakadoch :
« Le 15 chévat, ils étudient dans leurs yéchivoth presque toute la nuit. Ils célèbrent le jour en goûtant à tous les fruits qu’il est possible de trouver dans la ville. Avant et après chaque espèce, ils étudient des passages appropriés de la Torah et du Zohar, récitent certaines prières et chantent des cantiques » (R’ Refaël Cohen-Arazi (1988), « Tou-BiChevat », Kountrass, Jérusalem)
Cette fête exprime aussi l’écologie du judaïsme, son profond respect de la nature crée. Ainsi, il est interdit de couper un arbre dans le judaïsme sauf dans de rares exceptions (lois de de chémita). « L’être humain est un arbre du champ » (Dt 20, 19). Le juste un « arbre planté près d’un cours d’eau qui donne du fruit en son temps et jamais son feuillage ne meurt » (Psaume 1). La fin de la nature est aussi celle de la joie de l’homme : « La vigne est épuisée, le figuier dépérit ; le grenadier, comme le palmier et le pommier (וְתַפּוּחַ), tous les arbres des champs sont secs … La gaieté est tarie pour les humains. » (Jl 1.12)
Comme le montre le Rav Harboun (à qui je dois une bonne part de ces réflexions!) :
Le jour que la Torah nous a prescrit est le Tou Bichvath (Le 15 Chevath) Apparemment ce jour dans la Michna, est le Jour de l’An des arbres. Il a une fonction juridique qui consiste à distinguer les fruits récoltés avant le 15 chevath et ceux récoltés après cette date. Cette dernière constitue l’ultime délai pour s’acquitter de la dîme. Passée cette date une année nouvelle commence Cependant, nos Maîtres ont vu dans ce jour, le point zéro dans le cycle de la vie des arbres. Ils ont par conséquent institué ce jour pour susciter une réflexion sur les rapports de l’homme avec son cadre de vie. L’homme, nous dit la Torah a, l’obligation de protéger la nature et le compare lui-même à un arbre. Celui-ci a ses racines bien enfoncées dans le sol et ses branches s’étendent vers le ciel. Ainsi l’homme est un composé de matières matérielle et spirituelle. L’homme doit avoir pour objectif dans sa vie sur terre, de tendre constamment vers le spirituel, à l’instar des branches d’un arbre. Pour cette fin, il doit maintenir en permanence un équilibre dans la nature. (source : article Judaïsme et écologie sur son blog)
Ce jour-là les enfants plantent un arbre avec leur père selon la tradition. De même que mes pères ont planté pour moi, je planterai pour mes enfants – Talmud de Babylone Taanit 23a
Comme je le montre à la suite de Matthieu Collin dans Jésus de Nazareth juif de Galilée, le fruit de l’arbre fruitier qui vient d’être planté « est incirconcis (orla) pendant trois ans… on n’en mangera pas » selon le code Lévitique (Lv 19, 23) avant que tout son fruit ne soit donné à Dieu la quatrième année et qu’il ne donne du fruit à profusion consommable la cinquième année. La Tradition juive a remarqué que, chaque fois que le terme orla est employé dans la Bible, il désigne une barrière faisant obstacle à un résultat favorable. Le Prépuce est ainsi appelé orla et son ablation dans la brit mila vise à séparer l’obstacle avec la sainteté du Saint (Dieu). La résistance de quelqu’un au repentir est appelé la orla du cœur : « Supprimez donc la ‘orla de votre cœur » (Dt 10, 16). Une action symbolique de rétablissement de la relation avec Dieu qui engage l’action de Dieu lui-même : « Et le Seigneur, ton Dieu, circoncira ton cœur et celui de ta postérité. » (Dt 30,6). La orla sépare l’homme de la vie donnée gratuitement à profusion, elle est le péché de l’homme, son égoïsme qui le sépare de la grâce de Dieu, de sa Sainteté (séparation). Enlever le prépuce c’est entrer dans la vie de Dieu dans l’alliance avec lui. L’objectif de la circoncision est de marquer dans la chair l’acceptation de la Loi d’amour et la proximité avec Dieu, l’alliance avec lui. Le Talmud ironise :
Turnus Rufus dit à Rabbi Akiva : « Si Dieu demande la circoncision, pourquoi le bébé ne sort-il pas du sein maternel déjà circoncis ? » Rabbi Akiva lui dit : « … Dieu n’a donné les commandements à Israël que pour le purifier grâce à eux » (Tan’houma, Tazria’ 5)
Il s’agit donc pour Israël dans le rite du seder de Tou Bichvat de manger la Torah, de « Manger le livre » selon le beau titre du livre de Gérard Haddad que je vous conseille de lire. Il montre d’un point de vue biblique et psychanalytique que manger, c’est incorporer une histoire, une mentalité, des valeurs communes.
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Ces fruits nous invitent à bénir leur Créateur. Notre Créateur.