Pentecôte / Shavouot

Cette année la Pentecôte chrétienne tombe en même temps que la Pentecôte juive.

En allant hier visiter  un ami rabbin à shabbat j’ai remarqué que son épouse veillait sur une petite veilleuse protégée du vent. En effet, le vendredi soir, la femme juive allume les deux bougies du Shabbat et le lendemain après la tombée de la nuit (il est interdit de faire du feu à shabbat) à partir de la flamme allumée avant Shabbat. Et dimanche soir de même (la fête dure deux jours).

Cette nuit après l’office de Minh’a et Arvit (prière du soir qui se terminait vers 23h) les juifs pieux ont étudié les psaumes et la torah toute la nuit. Le limoud (l’étude) étant une obligation pour comprendre les dix commandements et toute la Torah qui sont proclamés aujourd’hui.

Le feu qui rappelle les flammes du Sinaï, le vent qui risque d’éteindre les bougies, l’étude de la Torah.

Un feu qu’on retrouve à Lag Ba’omer, avec la nuit des feux de joie semblables aux feux qu’on allume le soir de la saint Jean en monde chrétien . Il s’agit du 33ème jour de la période du Omer qui sépare Pessah de Chavouot, 50 jours qui a donné le mot Pentecôte (de Penta, « cinq » en grec).

Le feu, le vent l’étude de la Torah. Autant de symboles multimillénaires sans lesquels on risque d’avoir un peu de mal à comprendre le récit de la Pentecôte chrétienne, une solennité du judaïsme qui réunit les multiples membres de la diaspora juive, de tous les peuples où elle était répandue (voir carte) au milieu du premier millénaire.

Voici ce que rapporte le récit du livre des Actes des Apôtres au chapitre 2 dans une traduction un peu littérale :

Durant le jour de la Pentecôte, ils étaient tous ensemble au même endroit. Subitement, un retentissement se produisit depuis le ciel, comme d’un violent vent soufflant, et il remplit toute la maison où ils étaient installés. Des langues ressemblant à du feu leur apparurent ; elles se répartirent et se posèrent une par une sur chacun d’eux. Tous furent remplis d’Esprit Saint, et commencèrent à parler dans des langues différentes, comme l’esprit leur permettait de s’exprimer.

À Jérusalem résidaient des Juifs, hommes pieux [venus] d’entre toutes les nations qui sont sous le ciel. Après ce retentissement, la foule se rassembla, et elle était tout-étonnée, car les uns et les autres entendaient [les disciples] parler dans leur propre langue. Ils s’étonnaient et s’émerveillaient, [en] disant : « Tous ceux qui parlent-là ne sont-ils pas Galiléens ? Comment [se fait-il] que nous, nous [les] entendions chacun dans notre propre langue, dans laquelle nous sommes nés ?  Parthes, Mèdes, Élamites, et ceux qui résident en Mésopotamie, en Judée et en Cappadoce, dans le Pont et en Asie, en Phrygie et en Pamphylie, en Égypte et dans les régions de Lybie de Cyrène, et ceux de Rome qui séjournent ici, Juifs et prosélytes, Crétois et Arabes, nous les entendons parler les merveilles de Dieu !».
Ils s’étonnaient et ils étaient dans l’incertitude, ils se demandaient l’un à l’autre : « Qu’est-ce que cela veut dire ? » D’autres raillaient, disant : « Ils sont remplis de vin nouveau ! ».
Pierre S’étant placé parmi les Onze, éleva la voix, il leur déclara : « Hommes de Judée, et vous tous qui habitez à Jérusalem, sachez ceci, et prêtez l’oreille à mes paroles : contrairement à ce que vous, vous pensez, Ceux-ci ne sont pas ivres comme vous, vous le pensez, car il n’est que la troisième heure du jour. Mais c’est ce qui a été déclaré par le prophète Joël :

Or, dans les derniers jours, déclare Dieu, je répandrai de mon esprit sur toute chair :vos fils et vos filles prophétiseront, vos jeunes gens auront des visions, et vos vieillards auront des rêves (ou songes prophétiques);et sur mes serviteurs et sur mes servantes, en ces derniers jours-là, je répandrai de mon esprit, et ils prophétiseront et je donnerai des prodiges dans le ciel, en haut, et des signes sur la terre, en bas, du sang, du feu, et de la vapeur de fumée ; le Soleil sera changé en ténèbres et la Lune en sang, avant que ne vienne le grand et glorieux jour du Seigneur. Alors, quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.

Diaspora juive au Ier siècle
Pentecôte, monastère sainte Catherine du mont Sinaï, VII ème siècle

C’est donc le matin, les « hommes pieux » (hassidim)ont veillé toute la nuit et à l’heure de l’office du matin, ils entendent la proclamation du récit des dix commandements de la torah dans leur propre langue natale. Cet universalisme est celui de toutes les grandes régions et métropoles de la diaspora juive (voir carte), on y parle araméen dans l’empire Parthe, en Palestine et en Syrie, grec en Asie Mineure, à Rome et en Egypte. La Torah y est proclamée en hébreu ou en grec (Septante) et simultanément traduite et commentée en araméen ou en grec. La derasha (homélie, de darash, « chercher », comme celle de Pierre- Evel, parmi les Onze) suit la lecture de la Thora (les dix paroles), de la seconde lecture ou haftarah (Neviim – les petits Prophètes), ici le livre de Joël. On est donc dans un contexte synagogale juif et une solennité du judaïsme qui presecrit de monter à Jérusalem pour les trois fêtes (Pâques, Pessah ; Chavouot, Pentecôte ; Soucot-les moissons). L’universalisme est celui du Temple dans lequel on offrait 40 bêtes pour les 40 nations de la terre (c’est-à-dire toute l’humanité) à Soucot et dans lequel le parvis des païens, excède largement celui d’Israël (hommes et femmes) où ne pénétraient que les juifs, qui contient le sanctuaire et le Saint et le kadosh a kadoshim (Saint des saints où ne rentrait que le grand prêtre à Kippour). Une pénétration progressive vers le Saint, qui doit être comprise non pas comme un privilège ou un racisme ethnocentré mais comme une mise à part signifiante, un symbole. L’élection désigne pour responsabiliser.  

Comme au Sinaï, les langues de feu se posent sur chacun des membres du peuple qui « voient la voix » : « Et le peuple vit les voix… ils virent et tremblèrent » (Exode 20, 15). « Ceci nous enseigne qu’il n’y avait parmi eux aucun aveugle » commente Rashi… toujours astucieux. Les sens humains : la vue et l’ouïe fusionnent sous le choc spirituel. Comme l’affirme les sentences des Pères un traité talmudique très ancien : « Ces Dix Commandements de la Torah comprennent tous les commandements de la Torah et toutes les choses d’En haut et d’en bas, y compris les Dix Paroles par lesquelles le monde fut créé » (Pirqé Avot 5,1). Aucun miracle donc à la voix qui vient des cieux, à la traduction simultanée des peuples. L’Unité de tous les humains est contenue dans le maassé berechit (l’œuvre du commencement) avant que l’Eternel ne se « retire en lui-même » comme dit la prière de shabbat (la plus haute des solennités, au-dessus de toutes les fêtes).Tous les commandements (613 Mitzvot) dérivent de ces dix commandements, mistvot qui contiennent elles-mêmes chacune 613 mistvot. Autant dire que la sainteté de Dieu est inaccessible à l’homme. Sans compter les sept lois noachides…

Récement un ami chrétien me disait : « Mais l’Esprit Saint existait déjà dans avant Jésus ? »

Cette bat Kol (l’écho de la voix) qui tombe des cieux est familière aux lecteurs du Talmud ou de la Torah, elle repose sur les membres du peuple au Sinaï, sur le tabernacle (mishkan, la demeure) et la tente au désert, parle par les prophètes, désigne un harakham (sage)à Jéricho. Mais aussi au familiers des évangiles car la voix qui tombe des cieux sous la forme d’une colombe au baptême de Jésus prés de Jéricho cite… les psaumes, ces louanges (tehillim) qui résument la Torah et les Prophètes… Le Talmud dit que la Shekina roucoule. La Shekina (de shakan « demeurer », de la même racine que Mishkan)  la présence ‘Shekina’ mystérieuse de D. qui demeure dans le Saint de saints, la bat qol et la ruah aquodesh (l’Esprit Saint) sont des équivalents dans la pensée et la littérature talmudique au premier siècle. Quand l’évangile de Jean dit dans son prologue « Et le verbe s’est fait chair et il a demeuré parmi nous », le mot qu’il utilise à dessein est skènoûn en grec, « planter une tente » l’équivalent de shakan en hébreu. Ce terme renvoie à la révélation de Dieu, habitant comme un nomade sous une tente avec Israël au désert. D. Une réalité paradoxale de l’Esprit Saint et bine mystérieuse puisque celui-ci habite en même temps un endroit trés restreint et aussi le peuple, le coeur de chaque homme et tout endroit du monde. Au Sinaï, le buisson ardent que voit Moïse, brûle sans se consumer.

Au premier siècle la bat qol du Sinaï qui a parlé à Moïse et aux Prophètes et… a fini de parler avec le dernier des prophètes se réveille. Ceci dans la Tradition talmudique et judéo-chrétienne. Selon le midrash Tanhuma commentant  Joël 3,1-2, cité par Pierre dans le discours de la Pentecôte: « Dans ce monde, quelques-uns prophétisent ; mais dans le monde à venir, tous les Israélites prophétiseront ». La capacité à ce que chacun puisse entendre Dieu, est donc un signe de la géoula.

 

Mont Sinaï (Egypte)

Et le feu ? C’est celui du Sinaï qui est vécu dans l’étude comme le montre bien un récit Talmudique très ancien qui raconte la circoncision de Elisha ben Abouya (Talmud de Jérusalem Hagigah 2, 77b) :

Mon père, Abouyah, était un des grands personnages de Jérusalem. Quand vint le jour où je devais être circoncis, il invita tous les grands personnages de Jérusalem et les installa dans une maison. Quant à R. Eliézer et R. Yehochoua, il les plaça dans une autre maison. Lorsque les invités eurent fini de manger et de boire, ils se mirent à battre des mains et à danser. R. Éliézer dit à R. Yehochoua : Pendant que ceux-ci passent leur temps à leur façon, occupons-nous à notre manière.

Ils se mirent donc à s’occuper des paroles de la Torah, passant de la Torah aux Prophètes et des Prophètes aux Hagiographes. Un feu descendit du ciel et les entoura. Mon père, Abouyah, leur dit : Mes Maîtres! Êtes-vous venus pour mettre le feu à ma maison ? lis lui répondirent. Dieu nous en garde ! Mais nous étions assis et nous faisions un  »collier » avec les paroles de la Torah. Nous passions de la Torah aux Prophètes et des Prophètes aux Hagiographes et voici que ces paroles sont devenues joyeuses comme elles l’étaient quand elles furent données au Sinaï, et le feu s’est mis à les lécher comme il les léchait au Sinaï. Et, en effet, quand ces paroles furent, la première fois, données au Sinaï, elles furent données dans le feu, comme il est dit :  »Et la montagne brûlait, dans le feu, jusqu’au coeur des cieux » Alors mon père, Abouyah, leur dit : Mes Maîtres ! puisque telle est la force de la Torah, si ce fils reste en vie, je le consacrerai à l’étude de la Torah.

Elisha ben Abouya terminera, malgré tout hérétique, nous rapporte le Talmud mais c’est une autre histoire…

Et encore (Lévitique Rabba sur Lv 14,2 ; Par. 16 et 4)

Ben Azzaï était assis et interprétait et le feu brûlait autour de lui. On alla dire à R. Aqiba : Ben Azzaï est assis et interprète et le feu brûle autour de lui. Aqiba alla vers lui et lui dit : Peut-être t’occupes-tu des demeures du char (le maassé merkava est la « vision du char » du livre d’Ezéchiel qui est un des fondements de la mystique juive ésotérique avec le massé berechit, note de DL) ? Celui-ci lui dit : Non, je faisais un  »collier » en associant les paroles de la Torah aux paroles des Prophètes et les paroles des Prophètes aux Hagiographes, et les paroles de la Torah étaient joyeuses comme au jour où elles furent données au Sinaï. En effet, ne furent-elles pas, la première fois, données dans le feu ? C’est ce qui est écrit :  »Et la montagne était embrasée, dans le feu, jusqu’au coeur des cieux ».

Le fameux collier est la hariza, « enfiler des perles », des passages de l’Ecriture pour la  comprendre.

Les langues de feu de la Pentecôte sont celles de l’Etude : « On a dit de Jonathan ben Ouzziel que, lorsqu’il était assis et s’occupait de la Torah, tout oiseau qui passait au-dessus de lui était immédiatement brûlé. » (Talmud de Babylone Soukkah 28 a).

Donc aujourd’hui, peut être notre cœur sera-t-il « tout brulant » en nous comme celui des disciples d’Emmaüs alors qu’ils passent de la « Torah aux prophètes et aux Psaumes » (Lc 24). Celui qui étudie comprend l’amour, expérimente l’amour. Il VOIT Dieu ou au moins son étincelle. Il l’entend mais à perte de vue. Les paroles des étrangers dans d’autres langues et religions deviennent celles du messie.  
Ainsi que le commentait Hillel, une sentence que reprendra Jésus après lui :

Un converti se présenta un jour devant Rabbi Hillel et lui demanda: « Rabbi, pourrais-tu m’enseigner toute la Torah pendant que je me tiens sur une jambe ?  Rabbi Hillel lui répondit:
– Aime ton prochain comme Toi-même, voilà toute la Torah. Tout le reste n’est que commentaires, va et étudie! »

Comme dit Moïse au récit du buisson ardent :  « Je vais faire un détour pour voir cet étrange spectacle ». Allons donc voir cet étrange phénomène… et étudions.

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