Devarim, les dernières paroles de Moïse

Commentaire du rabbin Haïm Harboun et DL.Vue du mont Nébo (2)

Vue du mont Nébo

Jérusalem vue du Mont Nébo

Jérusalem vue du mont Nébo

Elé ahdevarim asher diber moshe el kol  Israël« Voici les paroles qu’a dit Moïse à tout Israël ».

En général la Torah dit : « Moïse parla aux enfants d’Israël » Pourquoi ce « les paroles que Moïse a dit ». Le livre de Devarim (le Deutéronome) est aussi appelé Mishné Torah c’est-à-dire la répétition de la Torah. Moïse y répète à la première personne toutes les lois données jusqu’ici au Peuple juif.

Certains commentateurs ont pris Devarim pour un livre de morale. C’est exact et c’est faux. Exact car le livre de Devarim contient 77 commandements positifs et 50 interdictions. Faux car la vie juive n’est pas une succession de permis et de défendu.

Un livre de morale peut être lu alors dans le cas de Devarim, la morale est écoutée de la bouche de Moïse. Moïse ne rédige pas un traité d’éthique rationnelle. Il dit des paroles « à tout Israël ». Moïse parle avec son cœur inspiré par l’Eternel. Hors « ce qui sort du cœur pénètre dans le cœur » dit la Torah. Les parole de Moïse était inspirée par l’Eternel et donc pénétrait dans les cœurs.

Il n’est pas anodin que ces paroles de Moïse aient été prononcées peu de temps avant son décès. La lecture livresque est froide parce que l’émotion est absente. Devarim se termine par la mort de Moïse sur le Mont Nebo,

Après avoir chanté le Cantique « Haazinou » et béni une dernière fois le peuple, alors qu’il aperçoit la terre d’Israël du sommet du mont Nébo, cette terre où il ne posera pas le pied, âgé de 120 ans, Moïse meurt en répétant l’enseignement du Sinaï qui va changer de l’intérieur des cœurs et la face du monde.

Humilité de celui qui ne voulait pas être « la mère de ce peuple » à qui l’Eternel parlait « visage contre visage comme un ami parle à son ami » et dont « nul ne sait où il est enterré » commente sobrement la Torah. Cette humilité profonde de l’homme le plus humble (anaw) que la terre ai porté se dégage de la lecture de cette sidra alors que Moïse dit d’emblée : « Je ne peux pas, moi seul vous porter » (Dt 1, 9) et plus loin : « Comment porterais-je seul votre charge, votre fardeau et vos disputes ? » (Dt 1, 12)

Serait-il possible que Moïse qui avait accompli tous les miracles de la sortie d’Egypte  et ceux qui avaient suivi, au passage de la mer et dans le désert, « ne fût pas capable de juger Israël » demande Rachi ? Ce qu’il veut dire c’est que D. les a tellement exaltés et élevés, que si un juge commettait  une erreur entraînant une perte injustifiée, il mériterait la mort. Moïse lui-même ne pouvait porter une telle charge.

Moïse a déjà proposé de placer des chefs à la tête des tribus, des « hommes sages » (anashim rakhamim) et connus, des juges à la tête des tribus et des qui devront « juger avec justice »… « doués de discernement » (Dt 1, 12. 16) (voir Sidra Shoftim). Il n’a pas fait cela par un acte d’autorité mais avec l’assentiment des tribus (1, 14).  Cette organisation du droit et l’équité  étaient le prolongement de la conduite éthique qu’il édicte.

Cette Sidra nous donne aussi un enseignement sur Israël comparé aux « étoiles du ciel ». (v. 10). Cette métaphore appelle plusieurs remarques :

A cette époque, les enfants d’Israël au nombre de six cent mille, étaient loin d’être aussi nombreux que les étoiles du ciel. Mais la comparaison de Moïse porte sur l’éternité des corps célestes. Moïse  annonce l’éternité du peuple d’Israël.

Ensuite, la comparaison avec les étoiles du ciel raconte la spécificité historique du peuple d’Israël. En effet, les étoiles ne brillent que dans un ciel clair sans nuage. Le ciel symbolise  les pays dans lesquels vivront les Juifs. Les nuages symbolisent ce qui obscurcit et qui cache la lumière. Dans des pays sans antisémitisme, sans haine gratuite,  Israël peut « briller » par son intelligence créative, son dynamisme, ses conceptions de la vie, et tout cela contribue à la prospérité du pays tant sur le plan matériel que sociale. Par contre, lorsque les nuages s’amoncellent dans le ciel les étoiles disparaissent et ne brillent plus.

 « Comme l’auraient fait les abeilles » (v. 44). Selon Ibn Ezra les ennemis d’Israël, les Amoréens  sont comparés à des essaims d’abeilles attaquant furieusement quiconque menace leur ruche (Ibn Ezra). Mais l’abeille meurt aussitôt après avoir planté son dard dans sa victime. Moïse veut nous dire que ceux qui s’attaqueront à Israël le feront au détriment de leur vie. Et en effet les Amorréens sont morts immédiatement après avoir frappé les enfants d’Israël (Rachi)

Nous savons que le droit d’entrer dans le pays lui a été refusé à cause de la faute Mei Mériba, lorsqu’il frappa le rocher, trente-huit ans avant l’épisode des explorateurs (Voir Nombres 20,1 à 13) au lieu de lui parler comme Hashem le lui avait demandé. Cependant, Moïse n’évoque pas ce motif pour justifier le fait qu’il n’entre pas en Israël.

La Sidra nous éclaire sur le sentiment de Moïse quand il apprit qu’il ne rentrerait pas en Israël. Cette punition a fait couler beaucoup d’entre. La lecture de notre Sidra nous apprend que Moïse semble dire qu’il été puni pour l’affaire des explorateurs racontée à nouveau (Dt 1, 22-46) et non pas pour la faute des eaux de Mériba. C’est l’heure des comptes alors il résume la situation : « Vous n’avez pas désiré monter et vous vous êtes rebellés contre la parole de l’Eternel votre Dieu, vous avez calomnié dans vos tentes et vous avez dit : ‘‘c’est par haine que l’Eternel nous a fait sortir du pays d’Egypte’’ » (v. 26-28). Bref le peuple a confondu l’amour et son inverse la haine. Orphelin il s’est cru abandonné, mais Moïse redit la vérité de la situation « Et l’Eternel ton D. t’a porté comme un homme porte son fils » (Dt 1, 31). Et Moïse conclut : « Contre moi aussi l’Eternel s’est mis en colère à cause de vous en disant : ‘’toi aussi tu n’y entreras pas’’ » (Dt 1, 37) « Je vous ai parlé mais vous n’avez pas écouté »… « vous vous êtes rebellés », « vous avez mal agis intentionnellement » (1,43) Tout cela est tellement poignant… et tellement nous !

Quel chemin parcouru depuis la sortie d’Egypte ! Moïse exhorte le peuple et le met face à ses responsabilité : prendre les commandements et leur bénédictions ou vivre dans la malédiction en dehors du chemin (derekh) en allant auprès des idoles des nations (Sidra Réé Dt 11, 26-28).

Tous les commandements ont été transmis à  Moïse au Sinaï ou dans la tente d’assignation au cours de la première année après la sortie d’Egypte (Raban) rapporté dans les livres de l’Exode et des Nombres. On peut donc se demander pourquoi une telle répétition et selon quels critères les lois et les événements rapportés dans le Deutéronome ont été retenus ?

Selon le Rav S.R. Hirsch, le Deutéronome constitue l’introduction  du peuple  d’Israël au nouveau mode de vie dont il devra assumer la responsabilité en Erets Israël, lorsqu’il aura traversé le Jourdain. Devenu adulte, après son enfance au désert, le peuple ne verra plus la présente permanente de D. en son sein et il ne bénéficiera plus des miracles quotidiens donc il a joui dans le désert. Il devra prendre sa vie en main : labourer, planter, moissonner, construire… et faire face aux pièges que lui tendront les peuples voisins et tous les faux prophètes en son sein. Moïse sait que les voisins contesteront un jour la possession du pays de Canaan, c’est pourquoi il dit : « Prenez possession de la terre que Hachem a juré à vos pères, à Avraham, à Isaac, et à Jacob, de leur donner à eux  ainsi qu’à leur descendance après eux » (Dt 1, 8).

Les derniers mots de Moïse sont « Ashreikha Israël mi camokha am nosha badonaï», « Heureux Israël, qui est comme toi un peuple délivré par l’Eternel » (Dt 33, 29). Puis une promesse de victoire d’Israël sur tous ses ennemis menteurs alors que c’est D. lui-même qui est son bouclier et son épée.

D’ultimes paroles défensives et offensives que la Tradition a relié aux premiers mots du premier des tehillim. Celui du joug de la Torah : Ashrei aish asher lo alakh baatsat rechaïm « Heureux l’homme qui n’entre pas au conseil de méchants » ouv derekh Hataïm lo yashav.

La victoire d’Israël est une victoire morale, celle de son comportement, celle de la Halakha. Et c’est cette Halakha, cette « marche à suivre » et ses mitsvoth que nous détaille Devarim un derekh, un chemin commence et se termine par l’ashrei « Heureux ! » individuel (ish) et collectif (am – le peuple). « Heureux l’homme, Heureux le Peuple ! »

L’homme croit marcher et il accuse D. quand il se croit seul alors que la vérité est que  « l’Eternel ton D. t’a porté comme un homme porte son fils » (Dt 1, 31)

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