Le livre de la Genèse raconte-t-il vraiment les premiers instants de l’univers ?

Suit ici une réflexion inspirée des enseignements des Rav Haïm Harboun et Rav Nathan Mrejen

Nous avons lu hier la Paracha Berechit. Quand on demande aux gens ce que raconte le Livre de la Genèse ils répondent souvent « la Création du monde »… ce qui n’est pas faux. Mais de quelle création parle-t-on ? des premiers instants de l’Univers que décrit aussi la théorie scientifique du big bang ? Mais alors dans ce cas qui faut-il croire la science ou la Torah ? Peut-on faire une lecture de ce texte comme un reportage du commencement de l’Univers ?

big bang

Qu’est ce qui a été créé en premier ? « Qui a commencé ? »

Une célèbre page de la guemara du traité Haguiga s’étonne « Lors de la création il a créé le ciel puis la terre » comme le dit le premier verset de la Torah « Au commencement lorsque D. créa les Cieux et le terre » alors qu’il est dit plus loin dans l’ordre inverse « Le jour où l’Éternel D. fit la terre et le ciel il n’y avait encore aucun arbuste des champs… » (Gn 2,5). Pourquoi cette incohérence logique ? Pour nous prévenir, bien sûr! disent les Hakhamim de ne pas opérer une lecture littérale.

D’après l’école d’Hillel la terre a été créée en premier, à quoi les disciples de Chammaï qui pensaient que le Ciel a été créé en premier. A quoi les disciples d’Hillel répondaient : « d’après vous on bâtit l’étage et après la maison ? » (TB Haguiga 12a)… Mais selon les autres Sages tout a été créé en même temps comme les deux mains de D-ieu car « Le ciel est mon trône et la terre mon marchepied : quelle est la maison que vous pourriez me bâtir, le lieu qui me servirait de résidence ? Mais, tout cela, ma main l’a créé ! » (Is 66, 1-2) à rapprocher de : « C’est ma main qui a fondé la terre, ma droite qui a étendu les cieux. Je leur adresse mon appel : aussitôt ils se présentent ensemble.(Iakhdav) » (Is 48, 13).

Rachi le célèbre Maître de Troyes, vigneron au Moyen-Age ajoute :

« Au commencement, Eloqim créa » Ce texte demande, en fait, à être explicité. C’est comme nos maîtres l’ont expliqué : Le monde a été créé pour la Tora qui est appelée « le “commencement” de Sa voie » (Michée 8, 22), et pour Israël qui est appelé « le “commencement” de Sa moisson » (Jr 2, 3). Mais si tu veux l’expliquer selon le sens littéral, fais-le ainsi : Au commencement de la création des cieux et de la terre, alors que la terre était tohou et vohou et que les ténèbres…, Elohim a dit : « que la lumière soit ! » Ce texte ne vient pas nous donner l’ordre de la création, nous dire que ces éléments ont été créés en premier. Si tel était le cas, le texte aurait dû porter barichona (« en premier lieu »), car on ne rencontre jamais le mot réchith dans la Bible sans qu’il soit lié au mot suivant. Exemples : « Au commencement (beréchith) du règne de Yehoyaqim » (Jr 26, 1), « le commencement (réchith) de son royaume » (infra 10, 10), « les prémices (réchith) de ton blé » (Devarim 18, 4). Ici, de même, tu dois expliquer : « Au commencement, Elohim créa… », comme s’il était écrit : beréchith bero, « au commencement de l’acte de la création », à rapprocher de : « au commencement (te‘hilath) où Hachem parla à Osée » (Osée 1, 2), c’est-à-dire : « au commencement de la parole adressée par le Saint béni-Soit-Il à Osée, Hachem dit à Osée. ». […] Force est donc d’admettre que le texte ne nous enseigne absolument pas l’ordre chronologique de la création (Gn rabba 1, 6, Lv rabba 36,4)

Bref le fait de penser la création comme précession historique est une erreur. Ce n’est pas de cela que le texte parle.

Alors comment résoudre ce paradoxe originel ?

Le paradoxe originel

Rabbi Yossé dit que l’expression amayim, « les eaux » vient de chécham mayim, c’est-à-dire une forme contractée de ech et maïm le feu et les eaux.

La création contient donc en son principe des opposés comme l’eau et le feu, des paradoxes qui ne sont pas contradictoires du point de vue du Saint, béni soit-Il mais pas réconciliable du point de vue de la nature ou de la logique humaine.

L’enseignement de Rabbi Akiba propose que chamayim et arets sont les noms du Saint, béni soit-Il. Comme si la nomination originaire se référait à une unité originaire paradoxale incompréhensible pour l’homme qui ne peut la penser qu’en terme de confusion, lui qui vit non pas dans le monde de l’UN mais dans celui de la séparation, du langage, condition de possibilité et d’intelligibilité et aussi nostalgie de l’unité perdue (cf Babel).

Le traité Haguiga se demande pourquoi les scélérats comme les justes profitent de la lumière en ce monde alors que D. a séparé la lumière des ténèbres. Et il explique que D. l’a mise en réserve à l’usage des justes pour les temps à venir (TB Haguiga 12a). La création est donc une réalité paradoxale « qui n’a pas encore eu lieu » mais qui va advenir lors de la délivrance. Une sorte de processus entre le début et la fin du monde qui renvoie l’homme non pas à l’origine ou à la fin mais à son présent, l’histoire où il peut choisir la lumière ou les ténèbres à chaque instant.

J’ai reçu un enseignement du Rav Mrejen à ce sujet.

« C’est pourquoi l’homme (ich) quitte son père et sa mère, il s’unit à sa femme (ichto) et ils ne font qu’une seule (ehad) chair » (Gn 2, 24) : Il s’agit d’un paradoxe du masculin et du féminin qui désirent s’unir pour réaliser l’Unité (ehad) de éternelle et qui se repoussent comme les pôles opposés d’un aimant. ich et icha qui sans le Yah deviennent Ech, le feu destructeur. Paradoxe étrange car sans la femme l’homme ne peut se comprendre, laissé à sa solitude. Nous y reviendrons.

Haguiga 12a

Celui qui lit littéralement la Torah est juste un malheureux

Et rabbi Yossé rapporte ensuite une baraïta : « Malheur aux créatures qui voient et ne savent pas ce qu’elles voient qui se tiennent debout et qui ne savent pas pourquoi elles se tiennent debout, la terre sur quoi repose -t-elle ? Sur des colonnes puisqu’il est dit « il fait trembler la terre sur ses bases et ébranle les colonnes qui la supportent » (Job 6, 9). Ces colonnes sont sur l’eau puisqu’il est dit : « Pour Celui qui étend la terre sur l’eau » (Ps 136, 6).

A la Renaissance Le Maharcha[1] indique que Yossé commence son enseignement par la mot « Malheur » parce qu’il déplore le « malheur » qui consiste à croire en une description physique de la nature alors que le but de ce texte est de révéler le fondement spirituel de l’univers. En quoi est-ce un « malheur » ? Parce que l’oubli de cette reconnaissance de la profondeur spirituelle de l’univers conduit à l’absence de prise de conscience de la responsabilité de l’homme qui consiste à changer le monde.

J’ai reçu un autre enseignement du Rav Mrejen à ce sujet : ce qui est curieux c’est qu’après avoir créé les réalités spirituelles de la terre (erets) et des cieux (achamaïm) :

« Dieu fit l’espace, opéra une séparation entre les eaux qui sont au-dessous et les eaux qui sont au-dessus, et cela demeura ainsi. Dieu nomma cet espace le Ciel. Vayiqra Elohim laraqia chamaïm. (Gn 2, 7-8)

Pourquoi alors que les Cieux (chamaïm) et la Terre (erets), réalités spirituelles , ont été créées, le  Raqia doit il être « nommé »  chamaïm, « les Cieux »? Comme si on n’avait pas compris… Parceque l’homme a besoin de la nomination pour attribuer un sens spirituel à la réalité, pour considérer ce monde selon son élévation spirituelle, pour penser par allégorie.

Dit en d’autres mots : celui qui s’assimile au monde des choses considère la réalité et les autres comme des choses et en devient une. C’est ce qu’on appelle l’idolâtrie.

Si je ne vois les femmes que comme des proies sexuelles je deviendrai un objet sexuel et je ne pourrai pas comprendre la féminité ni la richesse sentimentale d’une relation réelle et pas fantasmatique. Si je ne considère les autres que comme des objets sociaux rapportés à leur surface financière je perdrai la gratuité sans laquelle aucune relation vraie n’est possible. Si je considère les autres comme des objets de ma séduction ou de mon pouvoir je serai réduit à mon rôle de maître ou d’esclave, d’objet sous la main ou de tyran inaccessible te je ne serai jamais libre, etc…. Et le sexe, l’argent ou le pouvoir ne sont que des catégories de l’idolâtrie parmi d’autres…

On est déterminé par la manière dont on regarde le monde. L’homme qui voit et vit ainsi ne peut donc qu’être malheureux puisqu’il n’accomplit pas sa vocation spirituelle, ce pour quoi il est fait, ce pour quoi l’Eternel l’a rendu contemporain de Lui-même par amour.

J’entends déjà un de mes enfants me poser la question « Mais alors qu’est-ce qu’il y avait ‘avant’ la lumière et les ténèbres ?»

L’Etat originaire : la solitude

Berechit explique ce qu’il y avait ‘avant’ : « Or la terre n’était que solitude et chaos; des ténèbres couvraient la face de l’abîme, et le souffle de Dieu planait à la surface des eaux. » (Gn 2, 2). Rachi commente :

Tohou et vohou Tohou signifie « étonnement, stupéfaction », l’homme étant frappé d’étonnement et de stupeur en présence du vohou.[2]

Les deux mots hébreux tohu et bohu son treliés par et. Tohu signifie « inhabité, inhabitable, le désert ». Comme il est écrit :

« Il le rencontre dans une région déserte, dans les solitudes (tohu) aux hurlements sauvages; il le protège, il veille sur lui, le garde comme la prunelle de son œil. » (Dt 32, 10)

Le second mot bohu ne se rencontre que trois fois dans la Torah il et est donc difficile à définir, il est toujours lié à tohu.

Rachi décrit ce réalité comme stupéfiante. « Tohou et vohou Tohou signifie étonnement, stupéfaction, l’homme étant frappé d’étonnement et de stupeur en présence du vohou. »

L’homme est donc interloqué, sans voix face au chaos qu’il est avant la parole de D. Sans D. sa vie est un « désert où hurle la solitude »

C’est de cette agitation que la femme vient le tirer, comme une réalité paradoxale sans laquelle il ne peut trouver sa propre signification.

« Il n’est pas bon que l’homme soit seul »

Le couple humain est une réalité paradoxale en quête de l’unité originaire et qui sans elle se repousse et se détruit. « L’Éternel-Dieu dit: « Il n’est pas bon que l’homme soit isolé; je lui ferai une aide digne de lui. » » (Gn 2, 18). L’homme est en danger sans son vis-à-vis. Il risque de se croire pouvoir réaliser l’unité de Dieu. Il lui faut une femme avec il va pouvoir réaliser l’unité le ehad qui est en Dieu.

Le Zohar déclare :

« Un homme seul, ou une femme seule, n’est que la moitié d’un corps » (Zohar III 7b, 109b, 296a)

Et les Hakhamim disent :

« L’épouse d’un homme est comme son propre corps. » (Talmud Menahot 93b, Bekakhot 35b).

 

« Une aide qui soit face à lui Si l’homme a du mérite, elle lui sera une aide. S’il n’en a pas, elle sera contre lui et le combattra » (Beréchith rabba 17, 3. et Yevamoth 63a).

Le Tohu Bohu c’est donc « l’avant » de la création et du couple humain. Un espace de confusion sans vis-à-vis (lumière/ ténèbre ; haut/ bas ; jour/ nuit ; terre/ eau ; homme/femme…) donc sans signification.

Berechit ne raconte pas les premiers instants de l’univers mais comment chacun de nous peut ici et maintenant choisir d’advenir en ce monde comme un être humain dans la avoda hachem, en couple.

Tohu Bohu

[1] MaHaRCHA (initiales de Morénou Harav Rabbi CHmouel Aidels – « Notre Maître Rabbi Samuel Eidels ») Rabbi Chemouel Ben Yeouda Halevy Edel de Pologne (1555-1631). Commentaire du Talmud intitulé Hidouchei Maharcha (Hidouchei signifiant « Nouvelles Explications par »).

[2] Et Rachi ajoute « En français médiéval : « estordison ». Vohou signifie vide et solitude. La face de l’abîme A la surface des eaux qui étaient sur la terre. Et le souffle de Elohim planait Le trône de la majesté divine se tenait dans les airs et planait à la surface des eaux grâce au souffle de la bouche du Saint béni soit-Il et par Sa parole, comme une colombe qui plane sur son nid (Gn rabba 2, TB Haguiga 15a). En français médiéval : « acoveter ». »

 

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