S’asseoir en silence

En rangeant mes affaires vers une autre vie j’ai retrouvé les seuls objets que j’avais ramenés du monastère il y a 25 ans. Mon coussin de méditation en silence (zafou) et ma Bible.


Tout un monde de souvenirs est revenu en moi. Les semaines passées seul dans la forêt en ermitage. Le froid dans les cellules. La faim. Le chant de la forêt. 100 hommes en noir en silence absolu. L’obéissance sous une Règle de fer. Le lever à 2h du matin avec les psaumes en disant la première phrase de… la Amida : « Eternel ouvre mes lèvres et ma bouche publiera ta louange »

Mes frères aussi.

Frère Symphorien qui avait perdu son œil en défendant le bunker d’Hitler à Berlin, Division Charlemagne, après la campagne de Pomeranie, converti sur l’échafaud, il accueillait les sdf et autres routards.

Frère Jean Volot, patron de la résistance, devenu prêtre ouvrier et graisseur incognito sur un navire sous pavillon de complaisance, débarqué en 54, pôle nord avec Paul Émile Victor puis McMurdo en Terre Adélie. Un jour je les ai séparés.
J’ai croisé un jésuite torturé par Pinochet (« ils disaient que nous n’étions pas des hommes ») qui avait pardonné son bourreau rencontré dans la rue, nos frères en mission avaient été enterrés vifs ou tués à coup de baton par les Khmers de Pol pot formés à la Sorbonne, attachés avec des barbelés en Haïti.

J’ai vu frère Jean, 70 ans, perdre la foi pendant 15 ans et continuer de se lever pour les 7 prières de la journée. J’ai creusé les tombes dans le sol verglacé, essuyé les yeux de parents dont les deux enfants s’étaient suicidés, recueilli le souffle de Roberto un sdf, premier prix de piano à Tanger passé par LA (« Marche, ne t’arrête pas traverse la ville… sinon les gens du foyer de nuit vont te tuer »), homo, les années sida. J’ai vu des gens pleurer de joie en retrouvant l’Eternel. Le grand pardon. J’ai rencontré Tendzin Gyatso le Dalai Lama à Toulouse en 94. Appris à battre le tam tam en tronc de baobab  avec mes frères d’Afrique arrivés de la brousse équatoriale. Un envoûtement.

Il y a plein de manières de vivre, on ne peut pas juger, et nous ne sommes que des mendiants.

Quand je suis arrivé je faisais 50 kg. Ils m’ont donné de la dynamite et un marteau piqueur :  » Tu creuses une tranchée dans le granit de 1m× 2m de fond… sur 50m ». Je l’ai fait sous le soleil et l’hiver mes doigts ont éclaté à cause des engelures. Peu restaient.
Uniquement des hommes exceptionnels et extrêmes. Des combattants.


Aujourd’hui les gens vivent dans des cocons standardisés. Que peuvent-ils savoir de la réalité ? De D.ieu ? De l’humain ? De la fraternité ?

Ils sont comme ces oiseaux en cage qui tressaillent en voyant passer des oiseaux migrateurs à l’automne puis se rendorment.

Je vais recommencer à m’asseoir en silence.

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