François Yoçèf Brami, Symphonie des lettres – Lexique illustré d’une origine hébraïque du français : mots et expressions. Préface du Grand Rabbin Haïm Korsia. BibliEurope 2017. (Acheter ici)
Dans le judaïsme on dit que quand un Sage meurt c’est comme une bibliothèque qui brûle. Mais quand un livre naît c’est comme un enfant qui se met à parler et celui-ci parle une langue étrange d’hébreu et de français ou plutôt des racines hébraïques du français. Mazel Tov donc à François Yoçèf Brami pour cette Symphonie des lettres – Lexique illustré d’une origine hébraïque du français : mots et expressions. De quoi s’agit-il ?
Un juif francophone dit chaque jour les louanges du Très haut et au bout d’un moment une idée naît en lui. Pourquoi certains mots hébreux ressemblent donc tant à des mots français ?
On se rappelle que Rachi, rabbin de Troyes-en-Champagne au 11 ème siècle avait déjà montré qu’un certain nombre d’expression en vieux français provenaient directement de l’hébreu de la Torah (environ 3000 gloses disséminées à travers la Bible et le Talmud). Grace au travail de ce génie qui n’avait d’autre but que de commenter le texte nous sont parvenus des milliers de mots de l’ancien français qui sans lui seraient perdus. Ainsi du mot tohu Bohu qui vient du livre de la Genèse. Rachi commente « La terre était déserte et vide (Tohu vavohou) Et le souffle de D. planait sur les eaux » :
- Tohou signifie « étonnement, stupéfaction », l’homme étant frappé d’étonnement et de stupeur en présence du vohou. En français (médiéval ): « estordison » : étourdissement).
- « La face de l’abîme ». En français médiéval : « acoveter » : être couché.
François Yossef Brami a reproduit cette méthode de commentaire de Rachi dans sa Symphonie des lettres. Il a retrouvé tous les mots français à ascendance, consonnance hébraïque.
- Abracadabra = Abra (je créerai), Ca (comme), Dabera (je parlerai)
- Autoriser = Autire (autoriser en hébreu)
- Ame = Neshama
- Balbutier = Babel, Bavel: mélange
- Immigré = Guer
- Lumière, éclaire : Mire, Meïr…
Tout travail de généalogie est travail de recherche non seulement de filiation mais aussi de sens. Parfois c’est ainsi l’antisémitisme qui se glisse dans la langue. Qui sait que Arnaq en hébreu veut dire… portefeuille. Les juifs longtemps assignés à la seule tâche qui leur fut autorisé par l’église : le micro crédit à la consommation, ou usure, on finit par avoir la réputation d’ « arnaqueurs »…
Pour nous juifs la langue sacrée est celle de la Torah. La Bible que lisent les chrétiens provient de la traduction de notre torah par la communauté juive hellénistique vers 270 avant notre ère. On l’appelle la Septante (des 70 sages qui l’auraient traduite et seraient retombés sur le même texte par miracle). On en trouve une trace de cet épisode dans le Talmud :
« On raconte que cinq anciens traduisirent la Torah en grec pour le roi Ptolémée, et ce jour fut aussi grave pour Israël que le jour du veau d’or, car la Torah ne put être traduite convenablement » (Talmud de Babylone, Soferim 1, 7).
Peu de gens le savent mais grâce à Eliézer Ben Yehouda nous reparlons cette langue qui n’était plus utilisée que dans la prière[1]. (Lire ici une recension)
Notre langue « patrie bien aimée de nos pensées » comme disait Herzl est désormais l’hébreu. Ce qui est en soi un miracle. Et parfois sous les langues de la galout affleure un filon, celui de l’hébreu et des juifs qui ont vécu sur ces terres d’exil.
Retrouver l’origine, montrer la filiation, faire anamnèse pour sortir le diamant de sa gangue est tâche sacrée. C’est ce que fait cette Symphonie des lettres préfacée par le Grand Rabbin Korsia.
Il arrive parfois que le texte se taise, la langue ne parle plus et s’enveloppe de silence. Le silence alors nous envahit. Et puis on prononce les mots comme en un rite…et ceux-ci reprennent vie comme les ossements d’Ezéchiel dans la vallée de le Géenne, et ils se mettent à parler. Comme une musique.
[1] Voir : BEN-YEHOUDA (Éliézer), Le Rêve traversé, suivi de BEN-AVI (Ithamar), Mémoires du premier enfant hébreu, Paris, Desclée de Brouwer, 1998, 425 p. (textes traduits par Gérard Haddad) (avec la collaboration d’Yvan Haddad) et précédés de La Psychose inversée, du même G. Haddad)