Emission diffusée ce samedi 15 février 2017 à 20h00. (voir ici)
Avant Pessah, mon compatriote Corse Olivier Betti-Séréni de Lévie, m’a interviewé pour Fréquence Protestante sur les mémoires juives de Corse, l’exode des séfardim via Gênes vers notre île sous la pression de l’Inquisition, les juifs de Paoli, les cédrats judéo-corses, les armes de la Haganah livrées via l’aéroport d’Ajaccio à la fondation de l’Etat d’Israël en 1947… c’était un moment très émouvant. Ecoutez.
Un jour de la Hilloula de Rabbi Meïr, deux corses qui avaient lu mon livre Des noces éternelles, un moine à la synagogue m’ont écrit un SMS.
« J’ai lu votre livre. Mon nom est Guy Sabbagh, né à Bastia en 1947, Je suis le fils de David Sabbagh ancien président de la communauté juive de Corse et le petit-fils du rabbin Méier Tolédano qui a été le guide spirituel de cette communauté pendant toute sa vie…, votre contact m’a été donné par Laurianne B. J’espère à très bientôt »
Deux hommes corses sont venus me voir à mon bureau : Guy et Benny Sabbagh. Ils m’ont présenté la Meguila de leur grand-père (photo), venu du Maroc et à qui avait attiré à Bastia via Tibériade et La canée (Crète) en 1915, le Rav Meïr Tolédano (zal) rabbin de la seule synagogue de Corse au pied de chez ma grand-mère, rue du Castagno à Bastia qui y avait officié de 1920 à 1970 et est enterré au carré juif du cimetière de Bastia. La beit Knesset Meïr. Son nom était marqué en bas de la Méguila en argent.
C’est comme ça que le 26 octobre 2016, jour de ma brit Mila, le Rav Harboun m’a donné le nom de Meïr, et pour moi c’est comme si la boucle était bouclée.
Ce matin dans notre synagogue avec mes amis.
Ma méguila achetée à un Sofer de Jérusalem de passage
Contraints de rendre un culte caché, les marranes s’identifiaient à Esther, la juive cachée d’un livre où n’est cité nulle part le nom de D-ieu. Leur rite majeur était Pourim. Leur idée était de rester fidèles dans le secret et de sauver le peuple. Ces représentations d’Esther en Reine des marranes sont courantes dans les images de la Nation juive Portuguaise à Amsterdam, Leide, Anvers ou au Brésil.(voir le livre : Représentations d’Esther entre écritures et images, Par Elisabetta Limardo Daturi).
Dans la Méguila d’Esther, Mardochée, un judéen de la tribu de Benjamin qui vit incognito à Suse (Iran actuelle), envoie au palais Esther, une cousine orpheline qu’il a adoptée. Elle vit anonymement au Harem du roi et il vient la visiter chaque jour suscitant la jalousie d’Aman chambélan du palais. La septième année de règne, Esther (« cachée » en hébreu) présentée au roi le séduit. Choisie comme reine elle va sauver le peuple juif de la jalousie d’Aman.
Esther et Mardochée, avec la figure biblique de Joseph bien sûr, sont les prototypes des juifs cachés auxquels s’identifieront les marranes.
Aman, s’apercevant que Mardochée ne s’agenouillait ni ne se prosternait devant [le roi], fut rempli d’une grande colère. Mais il jugea indigne de lui de s’en prendre au seul Mardochée, car on lui avait fait savoir de quelle nation il était. Aman résolut donc d’anéantir tous les juifs établis dans le royaume d’Assuérus, la nation entière de Mardochée. (Meguila d’Esther 3, 5)
le Talmud commente :
Rabbi Yo’hanan dit : Et pourquoi l’appelle t-on Yehoudi (juif)[1] ? Parcequ’il a renié l’idolâtrie, car tout homme qui renie l’idolâtrie est appelé Yéhoudi (juif). Comme il est écrit : Il y a des hommes qui refusent… (Dan 3, 12) [2](Talmud de Babylone Meguila 13a)
Selon un Midrach celui qui renie l’idolâtrie est appelé yéhoudi parcequ’il croit au D-ieu unique (yi’houdi) ;
D’après Maharcha[3] parceque le nom Yehouda contient toutes les lettres du tétragramme.
Enfin pour Meiri[4], rejeter l’idolâtrie revient à accepter tout la Torah, comme un juif à part entière.
un auteur dit: « si les tyrans sont grands c’est parceque nous sommes à genoux. » Aujourd’hui… relevons nous.
[1] Le Talmud demande pourquoi on appelle Mordékhaï « juif » ? et il répond en faisant référence au passage de 2 Sam 16, 5-7 : « Le roi David venait d’atteindre Bahourim lorsqu’il en vit sortir un homme de la famille de Saül, nommé Séméi, fils de Ghêra, qui, tout en s’avançant, l’accablait d’injures, lançait des pierres à David et à tous ses serviteurs, à toute la foule et à tous les guerriers qui l’entouraient à droite et à gauche. Et Séméi s’exprimait ainsi dans ses imprécations: « Va-t’en, va-t’en, homme de sang, homme indigne!». A son serviteur qui lui demande « Pourquoi laisse-t-on ce chien mort insulter le roi mon maître? Permets-moi d’avancer et de lui trancher la tête. » Il y a là un jeu de mot sur le nom de Simei » le fils du Guer– de « l’étranger » – un converti de la tribu de Benjamin. Et le Talmud argumente : « Car David n’a pas tué Chim’i, duquel est né Mordéchaï dont Aman a été jaloux ». Mordéchaï est donc un descendant de guer de la tribu de Benjamin, un benjaminite qui est appelé « juif ».
La guemara rapporte que les tribus de Benjamin et celle de Juda revendiquaient toutes deux la naissance de Mordékaï qui a refusé l’idolatrie dans le récit d’Esther
[2] Le Talmud cite en parallèle le livre de Daniel (Dan 3, 12) un passage qui se déroule lors de l’exil en Babylonie et durant dans lequel trois jeunes gens Chadrac, Mêchac et Abêd-Nego, des juifs qui vont être garrottés et envoyés dans une fournaise parce qu’ils refusent d’honorer la statue en or de Nabuchodonosor qu’il a érigée: « Or, il y a là des hommes, des Judéens (Yéhoudaïn), que tu as préposés à l’administration de la province de Babylone, Chadrac, Mêchac et Abêd-Nego; et ces hommes-là n’ont pas tenu compte de ton ordre, ô roi: ils n’honorent point ton Dieu et n’adorent pas la statue d’or que tu as érigée. »
[3] Rabbi Samuel Eliezer Eidels – le «Maharcha» (5315-5392 ; 1555-1631), est un grand talmudiste né à Posen en Galice vers le milieu du seizième siècle est un grand commentateur du Talmud, auteur d’un commentaire classique sur les portions législatives et narratives du Talmud de Babylone ainsi que leurs commentaires par Rachi et les Tossafistes.
[4] Menahem Hameïri (1249 – c. 1310) (Don Vidal Solomon de Perpignan) est un rabbin catalan des 13 et 14ème siècles, considéré comme l’un des commentateurs les plus brillants du Moyen Âge.
En ces temps de Pourim où nous célébrons la reine Esther il est impossible de ne pas évoquer la mémoire de Dona Gracia Nassi, la reine des marranes, secours de son peuple et combattante impitoyable de ses ennemis à qui plusieurs milliers de Marranos et d’autres juifs persécutés ne donnaient pas d’autre nom que « Notre Ange ».
Agnolo Bronzino, Beatriz de Luna avec son unique fille Reyna, 1530-1540
La splendide fleur de l’Exil d’Israël
Dona Gracia (Nassi) nait à Lisbonne en 1530 dans une famille de marranes espagnols aragonais, nobles qui ont fui l’Inquisition. Sa vie ne fut qu’un long voyage.
Mariée à Francisco Mendes Benveniste de la famille des Nassi (« prince » en hébreu) au Portugal et fondateur d’une entreprise commerciale importante celui-ci mourut en 1535. Il laisse sa femme veuve a vingt-cinq ans… Mais une menace de plus en plus mortelle la guette : L’Inquisition. Lire la suite de « Doña Gracia Mendez (Nassi) (1510-1568), « L’ange des marranes » »→
En matière de barbarie Maïmonide en connaissait un rayon. Toute sa vie est une fuite face à la persécution. On peut dire que Maïmonide est le premier juif caché, ce que seront les marranes des siècles suivants. Il naît à Cordoue sous la dynastie tolérante des Almoravides en 1138 mais à 13 ans sa famille doit fuir vers Fès où se trouve le fief des Almohades, l’Etat islamique de l’époque qui a envahi Cordoue, des fanatiques qui imposent la conversion à l’Islam ou la mort violente par décapitation. Maimonide fuit à Fès… le siège des Almohades ! y devient professeur à l’université d’Al Quaraouiyine, probablement imam, juif caché. Comment le sait-on ? Simplement parce que quelques années plus tard, au Caire, Maimonide sera accusé d’apostasie de l’Islam devant un tribunal islamique (Source : Haïm Harboun, Maïmonide pourquoi l’Egypte ?). Ce qui lui vaut la dénonciation des médecins égyptiens et…. de membres de la communauté juive qui l’accusent de vivre en conversos. Maïmonide s’en tirera.
Reconnu comme l’un des plus célèbres herboristes et phytothérapeutes de l’époque, il devient médecin de la cour des Fatimides à Fostat (Le Caire de l’époque), médecin attitré du secrétaire de Salah El Din (Saladin), le vizir Al-Fadhil puis du sultan Salah-Al-Din.
Dans son Guide des égarés le Rambam, un des plus grands esprits de tous les temps, s’interroge, sans animosité quand on connait son histoire personnelle, sur l’origine de la barbarie. Il écrit (en arabe avec des lettres hébraïques car les juifs ne devaient pas utiliser la langue du Coran) :
Ces grands maux que les hommes s’infligent les uns aux autres, à cause des tendances, des passions, des opinions et des croyances, découlent tous d’une privation ; car ils résultent de l’ignorance, c’est-à-dire de la privation de la science. De même que l’aveugle, à cause de l’absence de vue, ne cesse de se heurter, de se blesser et de blesser aussi les autres, quand il n’a personne pour le conduire dans le chemin, de même les partis d’entre les hommes, chacun selon la mesure de son ignorance, s’infligent à eux-mêmes et aux autres des maux qui pèsent durement sur les individus de l’espèce (humaine). S’ils possédaient la science qui est à la forme humaine ce que la faculté visuelle est à l’œil, ils seraient empêchés de se faire aucun mal à eux-mêmes et aux autres car la connaissance de la vérité fait cesser l’inimitié et la haine »
Plus loin Maïmonide relisant Isaïe (11, 6-8) et sa prophétie de l’agneau vivant en paix avec le loup et le léopard avec la chèvre aux temps messianiques indique que le sujet même de la vraie connaissance est D-ieu lui-même. Lire la suite de « L’Origine de la barbarie, Maïmonide »→
Autrefois La féria de Séville se déroulait dans le Prado de San Sebastian. Ce cadre a un passé noir qu’aucune plaque ne signale. C’était le quemadero, le lieu des spectacles publics d’autoda fé de l’Inquisition. Son architecte juif y fut l’une des premières victimes de l’ Inquisition. L’échafaud était probablement derrière l’actuel Pavillon du Portugal.On estime que 6700 personnes y périrent entre 1540 et 1700.Les visiteurs y passent aujourd’hui inconscients et amnésiques des centaines de victimes du passé.
Prado de San Sebastian – Séville – Google
Lorsque j’ai visité Séville il y a une dizaine d’années c’était la Féria d’avril. Par un étrange « hasard » je me retrouvais à l’Hotel la Casas de la Juderia. J’y ai écrit mon seul et unique roman « Un ange dans le rétroviseur » qui se passe a Séville. C’est l’histoire d’un homme qui se réveille on ne sait où, dans un no mans land quelque part entre la terre et le ciel après un accident de voiture et dont la mémoire de la vie revient peu à peu, et qui y découvre un secret. Quelques années plus tard mon ami le rabbin Haïm Korsia tombait par hasard dans une librairie de Nîmes sur ce livre qu’il lut et qui le frappa. « Un ange dans le rétroviseur » , je ne croyais pas si bien dire. Ce trauma a du mettre en route ma mémoire. La vie est tellement étrange.
Autodafé sur la Plaza Mayor de Madrid, Francisco Rizi (1683)
Comme nous le rappelle Cécil Roth dont je ne peux que conseiller un livre de référence, l’Histoire des Marranes :
Les victimes de l’Inquisition se recrutaient à tous les échelons de la vie sociale, du plus humble au plus élevé. Elles comprenaient prêtres et nobles, poètes et hommes d’Etat, moines et religieuses, collecteurs d’impôts, mendiants, marchands,… enfants à peine sortis de l’école, vieillards avec un pied dans la tombe.
Les procès d’Inquisition consignent avec une dureté et une précision chirurgicale ces histoires à peine croyables de personnes à qui il ne restait souvent au bout de plusieurs générations que quelques éléments fragmentaires d’un judaïsme caché, et forcément appauvri, auquel ils crurent jusqu’au bout. Je voudrais ici en rappeler quelques unes.
Fra Diogo da Assunção
Le frère Diogo da Assunção (1571 – 1603) était un jeune moine capucin rentré à 21 ans au couvent, presque limpieza de sangre mais avec un grand père « Nouveau chrétien ». Au couvent, âgé de 29 ans, il fut attiré par le judaïsme à cause de la férocité avec laquelle ses adeptes étaient traités. Il perdit la foi dans la religion catholique et revient à l’Ancien Testament et aux Psaumes. Sa connaissance du judaïsme n’était fondée que sur les Ecritures. Il fut amené devant l’Inquisiteur et convaincu de judaïser se proclama fier d’être un adepte de la loi de Moïse « dans laquelle il avait vécu, désirait mourir et dont il espérait le salut ». Arrêté en tentant de fuir en Angleterre, emprisonné et soumis à des tentatives constantes pour le forcer à renoncer au judaïsme il tint tête aux théologiens qui lui furent dépêchés.
Cécile Roth dans son Histoire des Marranes (1974, Liana Levi 1990)raconte ce qu’était le ghetto de Venise. Les photos sont de nos « reporters » Eddie et Alexandra Misrahi.
Ghetto de Venise – le Campo du Ghetto Nuovo
« La vague d’immigration détournée de Venise se renforça d’année en année. On entendait le portugais sur les places exiguës du ghetto où résonnaient les noms des meilleures familles aristocratiques de la Péninsule ibérique. En 1651, le curé d’une paroisse voisine affirmait catégoriquement que des chrétiens, autrefois prêtres au Portugal, étaient aujourd’hui des juifs au bonnet jaune. Les tribunaux de la Péninsule étaient occupés à écouter les dénonciations de visiteurs scandalisés. D’illustres figures de la vie juive — médecins, philosophes, poètes, penseurs et mystiques — faisaient leur première expérience du judaïsme dans le ghetto de Venise.
Le Campo du Ghetto Nuovo
Les membres de la nouvelle colonie étaient appelés « ponentines » ou occidentaux et ils formaient un élément distinct aux cotés des « nations » allemandes et levantines de la communauté juive de Venise. L’élément « ponentin » était légalement limité au commerce maritime où certains prospéraient de manière excessive. En l’espace de quelques années, ils s’étaient acquis le monopole sur les affaires locales et payaient autant d’impôts locaux que les deux autres communautés réunies. Ils étaient représentés par soixante membres au conseil communautaire, contre quarante allemands, (de loin numériquement les plus importants) et douze Levantins.
Ghetto de Venise – Synagogue des Levantins
Ghetto de Venise – Synagogue des Espagnols
Leur synagogue construite à l’origine en 1584 et reconstruite plus tard sous la surveillance du grand Longhena était la plus grande et la plus luxueuse du ghetto et servait de lieu de culte dans les grandes occasions. La langue des sermons et des annonces était l’espagnol ou le portugais. De nombreux ouvrages, littéraires, juridiques ou liturgiques, étaient imprimés dans ces langues sur les presses locales. Les armoiries des familles d’hidalgos de la Péninsule étaient gravées sur les pierres tombales du Lido où l’usage exclusif de l’hébreu s’affaiblit. Les rabbins locaux étaient assaillis par des questions de casuistique touchant aux problèmes soulevés par les nombreux semi-prosélytes. C’est ainsi que se formèrent les premières communautés permanentes d’exilés marranes. Pendant longtemps, elles jouirent de l’hégémonie sur le monde marrane. Leurs imprimeries fournissaient l’essentiel de la nouvelle littérature, elles constituaient le principal centre d’activités spirituelles et intellectuelles et fournissaient des maîtres aux congrégations naissantes qui les considéraient comme un modèle d’organisation. »